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En débat

Croissance et salaires

dimanche 1er avril 2007

Lors du travail sur la partie introductive du rapport soumis au congrès national du Snes, le S3 de Versailles avait proposé d’introduire l’idée que l’insuffisance de la croissance était une explication des dégradations en matière de salaires et de protection sociale. Cette idée a été contestée avec l’argument selon lequel l’essentiel n’est pas d’obtenir une croissance plus élevée mais de modifier le partage des richesses. Je voudrais revenir ici sur cette discussion.

Pour savoir ce qui, de la croissance ou du partage des richesses, donne le plus de marges de manœuvre, il faut faire un calcul. Celui-ci est assez simple. En détaillant ce calcul, je voudrais inciter tous les militants intéressés par cette question a s’y essayer par eux-mêmes, même s’ils n’ont pas une formation en économie ou sont fâchés avec les chiffres. Le partage des richesses s’est déplacé depuis la fin des années 1970 en faveur du capital (les profits, que les comptables appellent l’excédent brut d’exploitation), au détriment des salaires (salaires directs et cotisations sociales). La comptabilité nationale mesure ce déplacement et les données sont aisément accessibles sur le site de l’Insee, à la rubrique des comptes nationaux annuels. Pour la première année disponible, 1978, on lit que les salaires ont représenté 190,2 milliards d’euros, alors que la valeur ajoutée brute, c’est-à-dire la valeur de la production, a été cette année-là, de 308,9 milliards. La part des salaires dans la valeur ajoutée est donc de 190,2 / 308,9 x 100 = 61,6%. Le reste, pour l’essentiel, représente les profits bruts.

Le même calcul donne 58,2% pour 2005, dernière année connue ; la part des salaires a baissé de 3,4 points. Par conséquent, si la part des salaires dans la valeur ajoutée était demeurée identique en 2005 à ce qu’elle était en 1978, les salaires seraient plus élevés de 3,4% x 1531 milliards, donc de 52 milliards d’euros. C’est une sacrée somme ! Il est donc exact qu’un partage des richesses plus favorable aux salariés permettrait d’augmenter les salaires. Il faut cependant relativiser ce nombre. Les salaires ayant été de 891 milliards d’euros en 2005, une hausse de 52 milliards représente 52 / 891 x 100 = 5,8% d’augmentation. C’est bien, mais fort éloigné de nos revendications. D’autre part, et cette précision est fort importante, cette hausse n’aurait lieu qu’une fois, car il est impossible de continuer de déplacer chaque année le partage des richesses (il n’y aurait bientôt plus d’argent pour investir).

Evaluons maintenant ce que pourrait apporter un surcroît de croissance. Dans les années 1960, la croissance était de 5% par an. Dans les années 1970, elle était à peu près de 4%. Aujourd’hui, les ministres crient au miracle lorsqu’elle dépasse 2%. Il semble raisonnable d’envisager que la croissance pourrait être plus élevée de 1 point chaque année, ce que certains pays développés sont parvenus à faire. Imaginons que ça ait été le cas depuis 1978. Le PIB serait plus élevé de 31% environ. En euros 2000, la valeur ajoutée totale était de 762,9 milliards en 1978 (donnée fournie par le tableau 1.201). Le gain serait donc de 762,9 x 0,31 = 235 milliards d’euros environ.

Par conséquent, l’impact de la croissance est nettement plus élevé (quatre à cinq fois plus) que celui du partage de la valeur ajoutée. Surtout, si la croissance est durablement plus élevée, les salaires augmentent chaque année plus rapidement et non une seule fois. Il n’est donc pas illégitime de prétendre qu’une croissance plus soutenue est le moyen le plus efficace d’accroître les salaires. J’invite tous les camarades intéressés à refaire les calculs en prenant d’autres années de départ que 1978 comme points de comparaison ou en modifiant les hypothèses que j’ai faites (croissance un peu plus lente ou un peu plus rapide). Les résultats en seront modifiés, mais dans des proportions que je crois limitées et insusceptibles de remettre en cause la validité de la conclusion générale. Reste à savoir si une croissance plus élevée est réaliste. La principale limite qui vient à l’esprit est l’épuisement des ressources naturelles. La croissance peut-elle être à la fois plus élevée et économe en énergie, en terres agricoles ? C’est possible à condition de recentrer cette croissance sur le traitement de l’information, le savoir et la connaissance, mais aussi sur les énergies renouvelables, l’isolation, le recyclage, les nouveaux matériaux. Une autre limite est l’intensité du travail : rien ne sert de gagner plus si c’est pour être épuisé par un travail sans cesse plus intensif, dangereux et aliénant. Tous les travaux empiriques montrent qu’il est possible d’être très efficace tout en prenant mieux en compte ces paramètres. Mais il faudrait pour cela changer le patronat arriéré qui caractérise la France et renforcer la capacité d’influence des syndicats, ce qui n’est pas évident.

Arnaud Parienty,
S3 de Versailles et secteur rémunérations, statuts, carrières, protection sociale

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