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En débat

En finir avec "les fruits de la croissance"

dimanche 13 mai 2007

En finir avec « les fruits de la croissance »

La contribution d’Arnaud Parienty, « croissance et salaires », a le mérite d’approfondir un débat qui n’a souvent été qu’esquissé dans le temps contraint de nos diverses instances. Les bureaux, CA et congrès académiques de Grenoble ont, à plusieurs reprises et depuis longtemps, demandé que l’on cesse de revendiquer notre part des « fruits de la croissance » pour exiger une répartition plus juste de l’ensemble des richesses produites. L’expression la plus rapide , et sans doute un peu caricaturale, de cette position réside dans la question suivante : si nous limitons nos revendications au seul partage de la croissance devons-nous cesser de revendiquer si la croissance n’est pas au rendez-vous, voire accepter des baisse de salaire en cas de récession ?

Les sources produites ne sont pas en cause, non plus que les calculs effectués : les premières sont disponibles sur le portail de l’INSEE et chacun peut effectivement vérifier les seconds. En revanche leur présentation et les conclusions tirées méritent sans doute d’être discutées.

Arnaud oppose deux hypothèses. Celle d’un autre partage des richesses repose sur le retour aujourd’hui (en prenant 2005, dernière année de données disponibles) à une situation de partage de la valeur ajoutée en 1978. Le choix de 1978, début de la série continue de données connues, n’est pas illégitime, mais est-il le plus pertinent ? Le rapport le plus favorable aux salariés est celui de l’année 1981 : les rémunérations représentent 63,28% de la valeur ajouté, soit 5,1 de mieux qu’en 2005. Il aurait sans doute été plus juste de prendre cette base ; pour reprendre la même démarche qu’Arnaud, « si la part des salaires était restée identique en 2005 à ce qu’elle était en » 1981, les salaires seraient plus élevés de 78 milliards d’euros, au lieu de 52 milliards. D’autre part, peut-on affirmer qu’en 1978 ou en 1981, le partage des richesses était juste ? qu’il n’y avait pas à ces dates de revendications salariales ou que celles-ci n’étaient pas légitimes ?

La seconde hypothèse met en évidence la marge qui serait dégagée par une croissance d’un point supérieure à ce qu’elle a réellement été depuis 1978. Or il n’est pas juste de comparer cette valeur - discutable en elle-même, puisque on est passé de la valeur ajoutée brute, VAB, (308.9 milliards) à la valeur ajoutée totale, VAT, (762,9 milliards) et cela mériterait au moins une explication - à celle résultant de la première hypothèse : en effet, sauf à modifier la répartition des richesses pour mettre à la disposition des salariés la totalité des « fruits » de cette « augmentation » de la croissance, ce ne sont que 58,2% de cette valeur, soit environ 137 milliards d’euros, qui sont disponibles pour les salaires, ce qui réduit l’écart entre les deux hypothèses. Le même calcul à partir de la VAB au lieu de la VAT ne donne une marge que d’environ 56 milliards d’euros, soit à peine plus que le maintien du niveau de partage de 1978 et bien moins que le maintien du niveau de partage de 1981. Il existe sûrement une bonne raison de prendre la VAB dans un cas et la VAT dans le second mais le néophyte en questions économiques que je suis aimerait les connaître. En attendant d’être éclairé sur ce point, le fait de passer d’une mesure des richesses créées à une autre, pour comparer les deux hypothèses, produisent la désagréable sensation d’assister à une démonstration de bonneteau.

Toutefois, au delà des critiques formulées ci-dessus, on peut admettre pour valide la démonstration, malgré le paradoxe apparent : le partage des « fruits de la croissance » dégagerait une marge supérieure à celle obtenue par un retour au partage des richesses de 1978 ! Faut-il s’en étonner ? L’augmentation du gâteau, au cours de la période concernée et sans même le point supplémentaire de l’hypothèse 2, a été supérieure à la taille initiale de ce même gâteau. De 1985 à 2005, le PIB a augmenté de 127%, alors que la population n’augmentait dans le même temps que de 12% : Démonstration probablement inutile que les richesses existent dans notre pays mais que la croissance du PIB a aussi été celle des inégalités entre ceux qui les ont produites et ceux qui les ont confisquées.

En réalité - c’est là le point essentiel - les deux hypothèses ne peuvent être opposées, ni même comparées. Au contraire elles s’additionnent ou à tout le moins se combinent. Il est en effet nécessaire de poser la question du contenu concret de chacune d’entre elles. Partager mieux les richesses, c’est d’abord augmenter les salaires directs, augmenter les salaires socialisés en commençant par supprimer les exonérations de cotisations sociales, créer les emplois y compris les emplois publics là où sont les besoins, ce qui pose de nouveau la question de la fiscalité. Mais qu’est-ce qui permettrait d’augmenter la croissance, ne serait-ce que d’un point pour rester dans l’hypothèse retenue ? L’environnement international, avec la surexploitation de la misère et les accords commerciaux internationaux, n’est guère favorable au commerce extérieur des produits agricoles et manufacturés. Les investissements ne supposent pas seulement une capacité financière : il leur faut aussi une finalité, des perspectives de marchés. Je partage avec Arnaud l’idée que c’est dans les domaines du « traitement de l’information, le savoir et la connaissance, mais aussi les énergies renouvelables, l’isolation, les nouveaux matériaux » qu’il faudra rechercher les bases de cette future croissance. Cela rejoint nos mandats d’élévation des qualifications et de développement de l’éducation, la recherche et la culture. Dans un environnement financier marqué par la recherche des profits immédiats les plus substantiels, cela pose la question des investissements publics dans ce domaine, et donc une nouvelle fois celui de la fiscalité.

Mais le principal moteur de la croissance reste la consommation des ménages. En France même, les besoins non satisfaits sont immenses, à commencer par la question du logement. Ce dernier aspect peut permettre de penser qu’une élévation du pouvoir d’achat des ménages n’aurait pas nécessairement un impact négatif sur le commerce extérieur. A contrario, les haut revenus et les dividendes des actionnaires servent aujourd’hui surtout à alimenter les bulles spéculatives immobilières et financières et non à créer des richesses matérielles. C’est donc bien d’un autre partage des richesses qu’il convient d’attendre une relance de la création des richesses. La « croissance » est toujours un constat a posteriori ; affirmer « qu’il n’est pas illégitime de prétendre qu’une croissance plus soutenue est le moyen le plus efficace d’accroître les salaires » revient donc à mettre la charrue avant les bœufs. En revanche un autre arbitrage, dans le partage des richesses entre les producteurs et les prédateurs, a de bonne chance d’améliorer cette « croissance » qu’il est inutile d’invoquer a priori. Ce ne sont donc pas les fruits de la croissance qu’il faut revendiquer mais un autre partage des richesses dont le fruit sera la croissance. Jacques AGNES

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