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En débat

Contribution au séminaire UA des 7 et 8 novembre 2007

jeudi 11 octobre 2007

POUR UN SYNDICALISME DÉCOMPLEXÉ

La question du rapport au politique est sans doute une de celles qui interrogent le plus la spécificité syndicale française. La référence rituelle à la Charte d’Amiens (1905), sans que celle-ci soit d’ailleurs forcément appréhendée dans sa globalité, permet de se cacher derrière une « indépendance syndicale », qu’on peine souvent à définir non pas dans son principe, mais dans ses limites. Si l’on s’en tient à cette origine, l’indépendance syndicale n’est, dans la Charte d’Amiens, que le corollaire de la « double besogne » que s’assigne le syndicalisme : le travail, au quotidien, pour l’amélioration de la situation des salariés, mais aussi le travail révolutionnaire pour « l’expropriation capitaliste » et donc un renversement complet de l’organisation sociale. C’est en fonction de cette tâche qu’il convient que le syndicat œuvre de son côté, tout comme les organisation politiques, quelque peu méprisées par la CGT anarcho-syndicaliste du début du siècle dernier, qui peuvent le faire « de leur côté ». Une fois cette base posée, le premier constat qui vient à l’esprit est que jamais, dans l’histoire syndicale, les liens entre syndicalisme et politique n’ont été clarifiés. La conception guesdiste du parti « tête pensante » et du syndicat « bras armé », popularisée plus tard sous l’image de la « courroie de transmission », si elle n’était pas forcément revendiquée, a lourdement pesé sur les orientations syndicales, et c’est très largement pour des raisons politiques que l’histoire syndicale française a été marquée par une série de scissions et de rabibochages plus ou moins précaires. Les liens quasi-organiques entre la CGT et le PCF, mais aussi les relations « particulières » entre la CFDT et le PS dans les années 70 et 80, avec l’UNSA ensuite, les relations évidentes qu’entretiennent la plupart des syndicats Solidaires avec la gauche « anti-libérale » et la LCR, le rôle de certains groupes trotskystes dans des syndicats ou fédérations de FO, ne sont même pas des secrets de polichinelle. Mais la sacro-sainte « indépendance syndicale » fait passer sur de telles affirmations pour des « accusations ». L’histoire même du syndicalisme enseignant montre que bien des débats internes recoupaient des orientations politiques différentes, même si tout ne se résume pas à cela. La scission de la FEN est la résultante d’un projet de recomposition qui avait été théorisé et développé « ailleurs ». Et il n’est pas nécessaire d’entrer dans les histoires particulières des différentes tendances pour poursuivre la démonstration.

À cette situation, plusieurs raisons dont l’explicitation pourrait permettre d’avancer dans la réflexion. La première raison est externe au syndicalisme. Les organisations politiques développent une vision globale de la société et du rapport des forces sociales et ne peuvent dont évacuer de leur orientation une définition du rôle des organisations syndicales. La vraie « instrumentalisation » réside sans doute là : non pas dans la remise en cause de notre indépendance, mais dans le fait de se conformer au rôle social que le politique entend que le syndicat joue. Ce rôle varie évidemment selon les courants politiques, qui tous considèrent que le syndicalisme n’a cependant pas vocation à peser sur le jeu politique en-dehors des clivages et du débat tel qu’ils sont posés entre forces politiques. Le syndicat peut ainsi être considéré comme un « bras armé » de la création d’un rapport de force au service d’une opposition, ou d’une majorité (n’oublions pas l’exemple du Front Populaire), comme un « corps intermédiaire » chargé de la régulation sociale, et notamment des conflits, comme une « caisse de résonance » permettant au politique de savoir ce que pensent les salariés de tel ou tel secteur, etc... Il va de soi que cette façon d’appréhender le syndicalisme nous heurte, mais il faut intégrer qu’elle est évidente pour bon nombre de nos interlocuteurs. Malheureusement, elle l’est aussi chez certains de nos syndiqués. Les débats autour du TCE, en 2006, on conduit certains à considérer que l’alignement du Snes sur les positions de leur organisation politique était la condition sine qua non de la construction d’un rapport de force global contre une droite au pouvoir qui, il est vrai, était largement rejetée par la profession. Reste qu’entre ceux qui estimaient que cela impliquait un appel clair au « non », et ceux qui pensaient que cela signifiait un soutien au TCE, il y avait un gouffre évidemment infranchissable. Ce débat a montré la difficulté de construire une démarche purement syndicale, dans la mesure où, effectivement, la mener sans aucune référence à l’état du rapport de force politiques (ce que nous avons fait) laissait finalement libre cours à des interprétations nourries de rancœur quant à notre positionnement.

Le deuxième écueil est lui syndical, et très actuel. L’indépendance syndicale, on l’a dit, repose sur une définition claire du modèle de société que le syndicat va défendre, faute de quoi elle se transforme en corporatisme (rappelons que « l’indépendance » est revendiquée par bien des organisations syndicales autonomes à l’orientation peu progressiste, comme le SNALC dans notre secteur). Or, le syndicalisme, et plus particulièrement le nôtre, est en panne depuis de nombreuses années sur cette question. Nous arrivons facilement à cerner ce dont nous ne voulons pas, et à l’exprimer avec force, mais nous sommes bien en peine de dire, une fois sortis du cadre strict du professionnel, vers quelle société nous voudrions avancer. C’est donc sur nous-mêmes, et non sur la malignité des politiques (qui fera l’unanimité), que nous devons aussi nous pencher. Il n’est pas certain qu’au sein même d’Unité et Action, nous ayons la volonté de clarifier ces questions. Il faudra cependant le faire, et il se pourrait qu’on y découvre que ce qui nous rassemble est bien plus fort que ce qui nous divise. Et quand bien même, sans vouloir faire preuve d’un optimisme candide, nous pouvons aussi faire le pari de notre capacité à dépasser les divergences et à élaborer une synthèse. Le risque, en effet, est de voir les choix s’imposer à nous par défaut ; et le périmètre de notre élaboration proprement « politique » se limiter à la défense de nos métiers, projet certes noble et respectable (c’est aussi sur ça que nous attendent les collègues), mais qui laissera entier le problème de notre rapport au politique. La crédibilité de notre orientation et de notre syndicat passe par cette clarification. Le Snes a l’immense privilège d’être à la fois considéré comme « trop politisé » et comme « trop corporatiste », sans doute pas par les mêmes, mais ce sont les critiques constantes qu’on entend à notre sujet. Le caractère totalement contradictoire des deux qualificatifs n’apparaît pas sans doute parce qu’une orientation trop spécifiquement défensive nous fait apparaître comme « dans l’opposition » d’une part, et « fermés aux changements » d’autre part.

Le dernier écueil est dans la façon dont nous abordons le dialogue avec les forces politiques, non pas sur le terrain du professionnel, mais bien précisément du politique. Il serait facile de conclure que face aux difficultés pointées ou vécues, il convient que le syndicalisme reste en retrait de ce genre de débats, et prôner par conséquent une sorte d’indifférence entrecoupée d’affirmation, là où on nous demande notre avis, de nos analyses. C’est, peu ou prou, une phase nécessaire de notre syndicalisme, d’un certain point de vue comparable avec ce que vit depuis peu la CGT. La crainte de l’instrumentalisation va de pair avec la suspicion qui pèse sur les militants qui ne mettent pas leur drapeau dans leur poche et qui assument un engagement politique « par ailleurs » (rappelons de ce point de vue que le souci est ancien : le choix par UA d’André Drubay comme premier secrétaire général du Snes après le basculement de majorité de 1967 est de ce point de vue significatif). La façon dont, au congrès du Mans, des propositions de modifications statutaires relatives à l’engagement politique des militants syndicaux ont été formulées, présentées et reçues, montrent qu’il faut là aussi avancer, sauf à considérer que le militantisme syndical serait réservé aux « syndicalistes purs », l’absence d’engagement politique étant considérée comme la garantie suffisante d’une indépendance d’esprit qui manquerait aux autres. L’indépendance syndicale ne peut pas, dans la période actuelle, se limiter à cette situation. S’il était nécessaire que le Snes et UA coupent effectivement les ponts et fassent le bilan d’une stratégie qui s’était clairement inscrite dans la logique de l’Union de la Gauche, sans doute à juste titre, mais dont l’expérience a montré les limites, cette logique doit maintenant être dépassée. Le Snes se lamente, de congrès en congrès, sur l’absence d’alternative politique crédible, sans jamais, depuis une dizaine d’années, s’interroger sur les moyens d’une contribution syndicale à la construction de cette alternative. Le préambule adopté au congrès de Clermont-Ferrand marque un premier pas dans ce sens, même si, sur le fond, on en est resté à l’analyse de la situation plutôt qu’à l’avancée vers des solutions. On a dépassé, cependant, les motions des anciens congrès qui semblaient traiter de ces questions presque séparément du reste, et progressé sur les derniers congrès qui les passaient sous silence. En même temps, il paraît difficile, aujourd’hui, de continuer à élaborer des propositions, même partielles, seuls, dans notre pré carré syndical dans lequel nous sommes à la fois à l’aise et majoritaires, sans aller le confronter à l’extérieur. Maintenant qu’il semble que nous ayons réussi collectivement à nous affranchir de modes de pensées et d’élaboration qui faisaient porter au politique l’essentiel de la responsabilité, et au syndical le soin de choisir, de synthétiser ou de contribuer, il est sans doute temps d’assumer cette indépendance. Je renverrai ici à la contribution de Matthieu Leiritz dont je partage bien des orientations.

Reste à savoir comment contribuer syndicalement sur le terrain du politique. L’expérience d’ATTAC (même si ce n’est pas une organisation syndicale) montre que la frontière entre le politique et le politicien est faible et que la tentation de pallier l’inconséquence des forces politiques par la « politisation » d’une organisation peut être forte. Le « modèle » de la CFDT est de ce point de vue intéressant à observer. De fait, cette confédération, tout en restant un syndicat, se comporte sur bien des dossiers comme une organisation politique. Elle fixe a priori et indépendamment des partis une appréciation globale de la société et de ses évolutions, et décline ensuite dans son activité syndicale les conclusions de cette analyse. C’est une forme particulière d’indépendance sur laquelle, au-delà des divergences sur le fond, il convient de s’interroger. La logique cédétiste est celle du syndicalisme « d’opinion » : l’adhésion syndicale suppose l’adhésion au corpus idéologique et aux prises de position de la centrale. La clarification interne induite par les multiples désaffiliations des syndicats minoritaires, dont certains ont rejoint la FSU, accentue cette situation. Le modèle syndical qui est le nôtre est largement différent. Il repose sur la logique unitaire et majoritaire : rassembler le plus largement possible la profession, en étant convaincus qu’une analyse politique fondée sur le métier, sur ses conditions d’exercice mais aussi sur le sens qu’il a pour les collègues (on ne devient pas enseignant, CPE, CO-Psy par hasard, mais en fonction d’une vision du métier qu’on veut exercer, une vision de l’école, du service public, et donc de la société...), sur le quotidien des collègues, sera forcément plus juste et pertinente qu’une construction a priori. Reste que nous manquons souvent de courage pour mener cette démarche jusqu’à son terme, effrayés que nous sommes par les monstres de la division que nous pourrions découvrir derrière les ultimes portes. Peut-être, d’ailleurs, que si nous allions plus loin, nous nous diviserions moins sur les premières portes ; car il faut être bien naïf pour oublier que c’est justement sur le plus immédiat, le plus professionnel, que nous nous sommes divisés souvent (faut-il reparler les TPE ? ou revenir, plus récemment, sur la stratégie face au classement « ambition réussite » ?... le débat actuel sur la grève du 18 octobre apparaît comme bien anecdotique, finalement) Paradoxalement, peut-être, le syndicalisme de métier a des atouts considérables pour intervenir de façon crédible dans le champ politique. Tout d’abord parce qu’il se fonde sur une réalité que les militants syndicaux connaissent bien, ensuite parce qu’il n’a pas peur de remettre en cause ses orientations et ses analyses à la lumière de sa confrontation permanente avec la profession.

En guise de conclusion, on pourrait penser que nous avons maintenant besoin d’un « syndicalisme décomplexé » : décomplexé par rapport à la tutelle que les partis et courants politiques ont pu exercer sur lui, décomplexé par rapport à la légitimité de son intervention dans le champ du politique, décomplexé par rapport à la pertinence de sa méthode d’élaboration de ses orientations, y compris dans le champ des alternatives qui ne peut être découplé du métier... Reste à assumer le plus difficile : accepter d’intervenir, de se confronter, de débattre, là où on ne nous attend pas forcément, où nous nous sommes abstenus de le faire depuis que nous ne le faisons plus dans une logique politique, sans défiance et sans a priori, avec l’assurance que peut nous donner la conviction du bien-fondé de ce que nous serons capables d’élaborer, avec les syndiqués, avec les collègues.

Hervé LE FIBLEC

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