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En débat

Le déficit démocratique européen : une insuffisance ou une méthode ?

samedi 1er décembre 2007

Le déficit démocratique européen : une insuffisance ou une méthode ?

Quand on regarde les nouveaux traités présentés à Lisbonne (cf la note du SNES), et quand on lit les commentaires, on retrouve, au-delà de quelques modifications, les arguments en faveur du oui et ceux en faveur du non.

Ce qui me semble plus remarquable, c’est, autour du débat sur la procédure de ratification, la relance de la question démocratique dans la construction d’Europe. Je dis « question démocratique » car d’une part, elle dépasse la question du référendum pour la ratification, au sens où elle concerne l’ensemble de la construction européenne, et d’autre part, le terme « question » renvoie à la question de savoir quelle est la question. Par exemple, quand on parle de « déficit démocratique », on ne sait pas si c’est une insuffisance à combler ou une méthode à combattre. A combattre parce que le « déficit démocratique » est un processus politique particulier qui correspond à un projet de « gouvernance » de l’Union européenne, marqué par le poids des lobbies et de la technocratie.

Chacun peut faire les observations suivantes :

- Le TCE a provoqué un débat sans précédent dans l’opinion sur la nature et les objectifs de l’Union européenne, et la réponse qui a été apportée à ce questionnement, c’est la Conférence intergouvernementale la plus courte que l’Union européenne ait jamais connue. Il faut mesurer la violence du passage d’un débat public à son enterrement dans des négociations inter-gouvernementales bâclées au plus vite. De ce point de vue, la convention qui avait précédé le TCE était un progrès, que nous avions fort mal utilisé.

- Les grandes questions concernant l’avenir de l’Europe sont fermement maintenues à l’écart des élections au Parlement européen, et le fait que cela n’inquiète personne en dit long sur le consensus autour du « déficit démocratique ». Il fallait boucler la question de l’élargissement avant les élections de juin 2004, et les électeurs sont allés aux urnes un mois après la mise en œuvre d’un élargissement qui prêtait pourtant à discussion. Aujourd’hui, l’objectif numéro 1, c’est de boucler la ratification pour qu’elle n’interfère pas avec les élections de 2009 !

- la procédure parlementaire de ratification est recherchée pour l’absence de débat public qu’elle suppose. C’est d’ailleurs assez renversant, quand on se souvient des origines de la démocratie parlementaire, de constater que la « consultation » des parlements nationaux est utilisée pour priver l’opinion du débat (on suppose donc que les parlementaires vont esquiver le débat). Ce qui a été le plus remarquable dans les pays où il n’y a pas eu de référendum sur le TCE, ce n’est pas qu’ils aient dit oui ou qu’ils aient dit non, c’est qu’il n’y a eu aucun débat sur la question. Clairement, l’esquive du référendum, c’est l’esquive du débat. Il n’est pas interdit d’en conclure que ce qui a fait peur en mai 2005, ce n’est pas que deux peuples aient voté contre le Traité, mais qu’ils en aient débattu dans la grande tradition démocratique de la controverse. Eliminer la controverse, c’est neutraliser les choix politiques et faire passer la démocratie à la trappe. Si le référendum est jeté aux orties avec autant d’obstination, c’est d’abord parce qu’on se méfie des peuples.

Les deux arguments massue pour se passer de la « mise en opinion » des peuples, c’est d’une part qu’ils n’ont pas l’expertise pour en débattre (en gros qu’ils n’y comprennent pas grand-chose) et d’autre part, que c’est plus efficace pour construire l’Europe.

Ce discours classique de la technocratie (autrefois, on disait la bureaucratie) fonde une hypothèse sur le mode de construction de l’Europe qui mériterait d’être discutée. Cette hypothèse comporte deux éléments. Le premier est clair : c’est la défiance vis-à-vis des peuples. Le second, qui va plus loin, c’est que la construction d’une opinion publique européenne et d’un espace politique européen est impossible, ou n’est pas souhaitable, et que seules des procédures technocratiques sont à même de construire du politique, c’est-à-dire de la décision (mais non délibérative) à l’échelle européenne.

Quand, au delà des Traités, on élargit à l’essentiel, c’est-à-dire aux grandes décisions politiques, par exemple la libéralisation des services en réseaux, la façon dont ne se construit pas l’Europe sociale, ou la procédure technocratique de la méthode ouverte de coordination qui est l’archétype de l’occultation de la question démocratique, on s’aperçoit que c’est un mode de « gouvernance cohérent qui s’est mis en place. Un exemple parmi d’autres, le refus de toute évaluation indépendante des politiques de libéralisation : la Commission fait semblant de ne pas s’apercevoir que la libéralisation du marché de l’énergie est contestée dans ses effets, que l’absence de politique énergétique européenne est la conséquence de ce choix et elle s’apprête à pondre une nouvelle directive sur une nouvelle libéralisation de la distribution de l’énergie ! Il y a pourtant des espaces possibles de débat comme l’ont montré la directive Reach ou sur a question de l’environnement, mais c’est tellement fermé par les lobbies et verrouillé par la Commission.

En conclusion, investir la question démocratique pour nous, syndicalistes, c’est à court terme bien sûr poser la question du référendum, mais on ne pourra progresser qu’en travaillant à la construction d’une société civile et d’un mouvement social à l’échelle européenne

Daniel Rallet

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