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En débat

Sur La réforme du Lycée

Par Daniel Rallet le 16 novembre 2008

lundi 17 novembre 2008

Même quand on est au loin des responsabilités, on est toujours responsable de dire ce qu’on pense, et de contribuer au débat pour faire avancer les choses. J’ai bien conscience de la difficulté à diriger avec de multiples contraintes et impératifs. C’est pourquoi mon but très modeste est de dire deux ou trois choses sur la réforme du lycée, la série ES, et les SES.

1) La série ES est la cible de cette réforme (avec la voie technologique).

Darcos l’a clairement dit dés le départ. Il a parlé de la hiérarchie des filières, mais visiblement il est en train de la reconstruire à travers un schéma qui sera instrumentalisé pour flécher des parcours nobles dans des lycées ségrégués par la nature de leur offre, et avec l’aide auxiliaire de la suppression de la carte scolaire.

En introduisant une innovation fondamentale (donner la possibilité de prendre en module complémentaire des disciplines déjà présentes dans le tronc commun), la réforme crée les conditions d’une restauration du lycée binaire d’autrefois (sciences/lettres) et sous le prétexte d’une lutte contre la hiérarchie des filières, installe la suprématie d’une seconde scientifique.

On sait que depuis 1995 le taux de bacheliers stagne. La démocratisation du lycée est un processus inachevé et qui est en panne. Or, depuis cette date, la série ES a continué à attirer des élèves, ce qui atteste d’une demande sociale, et on sait la part qu’ont pris cette série et la voie technologique dans la démocratisation du lycée. Il faut pourtant bien constater que ce sont ces filières qui sont menacées par le projet de réforme.

Dans un entretien pour Le Monde (7 novembre), Darcos déclarait : « On essaie d’accréditer l’idée que mon action ne serait pas guidée par une préoccupation de justice sociale. Tout ce que nous faisons, sans exception, a pour but de nous occuper de ceux qui ne vont pas bien. ». Voilà au moins une exception, sans parler des autres.

Darcos prétend faire une réforme au nom de la lutte contre les inégalités sociales face à l’école. Il a pourtant un gros problème : il appartient à un gouvernement qui a fait de l’accroissement des inégalités l’axe de sa politique. Il est donc sur la corde raide.

Les mesures d’affichage (un accompagnement éducatif sans contenu réfléchi et livré à toutes les dérives du n’importe quoi), les mensonges (la lutte contre la ségrégation sociale par la suppression de la carte scolaire) n’auront que des effets temporaires, surtout si nous nous y employons.

Dans l’ancien temps (avant le krach), le pari de Darcos était celui qui avait été tenu dans un certain nombre de pays : séduire les classes moyennes en leur promettant d’accéder à des établissements et un enseignement de qualité (y compris au prix d’un renoncement à certaines valeurs, comme l’égalité et la cohésion sociale) et reléguer les classes populaires (sauf les « méritants ») soit à un para-enseignement professionnel, comme l’apprentissage, soit à un enseignement minimum, pas trop émancipateur..

Dans le nouveau contexte social et culturel qui émerge avec la crise, il nous incombe de marteler notre projet d’une école pour tous et d’une école qui investit pour l’avenir.

Toujours dans cet entretien pour Le Monde, Darcos déclarait : « notre devoir est de continuer à alléger le fardeau que nous léguons aux générations futures. ... Maintenant, le rôle de l’Etat va consister à recréer les conditions de la confiance. Ce n’est pas en l’alourdissant encore, en laissant filer les déficits, que l’on va renforcer ce rôle.

Est-ce un fardeau pour les générations de demain que de bénéficier aujourd’hui d’un enseignement de qualité, sur lequel la nation met des moyens parce qu’elle a plus confiance dans la jeunesse que dans les banquiers ?

2) Cette réforme marginalise l’enseignement des sciences sociales en seconde

Le terrain de discussion proposé par Allègre hier et par Darcos aujourd’hui est purement procédural : que met-on dans le tronc commun ? On comprend bien que le SNES est en difficulté puisqu’il doit arbitrer entre des disciplines qui ont toutes leur légitimité, et chacun comprend cette difficulté.

Il y a un autre terrain de discussion : que faut-il enseigner comme éléments d’une culture commune d’aujourd’hui ?

La discussion sur les procédures ne peut pas remplacer le débat sur le fond. On ne peut pas non plus arguer de la difficulté à régler la question des procédures pour ne pas avoir le débat de fond.

A partir du moment où le débat sur le fond a lieu, on peut toujours trouver des solutions procédurales qui se font pour, et non pas contre.

Dans la réforme précédente, le choix (sans débat) a été fait puisqu’aujourd’hui, 40 % des élèves de seconde suivent un enseignement de SES. Il a donc été décidé en 1998, de par la construction de la classe de seconde, que la majorité des élèves de seconde ne suivraient pas cet enseignement, ne serait-ce qu’un seul instant.

Aujourd’hui, le projet Darcos bascule vers une version extrémiste de cette exclusion des SES. Elle relègue les SES au titre de module optionnel parmi tant d’autres

J’aimerais tout de même que le débat ait lieu, pas seulement en tant que prof de SES, mais en tant que syndicaliste, en tant que citoyen.

C’est une décision politique lourde que d’attaquer les SES (car il s’agit de cela) dans un contexte où la crise financière, les inégalités sociales, les choix de politiques publics, mais aussi les interrogations des jeunes sur la société et l’avenir, mettent particulièrement en valeur le déficit de l’enseignement des sciences sociales dans le système éducatif.

Notre syndicat ne peut pas s’échapper de cette question, qui ne concerne pas que des problèmes de structures et de postes, mais bien notre conception du rôle du lycée dans la formation des jeunes.

Cette réforme a prétendu calquer l’organisation du lycée sur le modèle universitaire (dont l’efficacité pédagogique n’est guère interrogée) et elle assigne au lycée le rôle exclusif de préparer aux études supérieures. Avec ce pilotage par l’université, on s’éloigne évidemment du rôle du lycée dans la formation du citoyen, dans l’éveil au monde, dans la constitution d’une identité personnelle.

Pourtant le contexte historique marqué par des mutations d’ampleur, par une crise sociale et une crise du sens, sinon une crise de l’avenir, interpelle beaucoup nos jeunes. Il n’y a aucune justification à sacrifier cette fonction citoyenne du lycée, et il me semble que nous devons interpeller le Ministre sur cette question.

Cela concerne évidemment toutes les disciplines (j’ai suivi avec intérêt le récent et pertinent stage sur les humanités).

S’agissant des SES, je crois que la violence et l’importance des attaques portées contre les SES ont été sous estimées, et qu’elles n’ont été comprises que comme une attaque contre un aspect spécifique du système éducatif (une discipline) et non comme une attaque ayant une portée universelle contre notre conception de l’éducation.

On a reproché aux SES d’enseigner la macro-économie, l’intervention de l’Etat et les politiques keynésiennes : c’est comme si on n’enseignait pas la seconde guerre mondiale en histoire, ni l’arithmétique en maths. Reproches dont le ridicule et l’obscurantisme éclatent aujourd’hui au grand jour, mais il y a eu trop peu d’interventions à l’époque pour défendre un enseignement relevant de la vérité et de la critique.

On nous a demandé de faire l’apologie du marché et de l’entreprise, de ne plus parler de la répartition du revenu, et d’arrêter de faire l’analyse de la société. Avec le rapport Guesnerie, et l’éclatement programmé des SES en modules spécialisés, il s’agit de dévitaliser notre enseignement, c’est à dire de détruire sa portée critique.

D’autre part, les SES ont servi de banc d’essai à une attaque contre la laïcité puisque pour la première fois des groupes d’intérêts ont essayé de se glisser dans la confection des programmes.

Si chaque élève de seconde était privé de la nécessité de rencontrer cet enseignement, cela aurait une signification politique pour cette réforme du lycée.

Daniel Rallet 16 novembre 2008

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