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Vivre nus et libres

mercredi 18 novembre 2009

La troisième partie du thème 3, « pour le respect des droits et des libertés, pour l’égalité des droits » pose avec raison les principes qui doivent nous animer et dénonce, à travers un « discours sécuritaire et électoraliste » le retour forcené de l’ordre moral, ce qui n’est pas sans faire écho au projet exprimé lors de la dernière campagne présidentielle d’effacer les années 60 et 70 du siècle passé, tant sur le plan des acquis et droits sociaux que des libertés individuelles et collectives. Dans son congrès comme dans son action quotidienne, la FSU se doit de faire vivre ces libertés comme de lutter contre toutes les formes de discrimination. Si je soutiens l’orientation du projet de résolution, je souhaite attirer l’attention sur une discrimination particulière, celle qui vise ceux qui, par conviction philosophique ou simplement par plaisir, souhaitent vivre le plus possible comme ils sont nés, c’est-à-dire non seulement « libres et égaux en droits » mais également nus.

Il ne s’agit pas ici de faire la promotion du naturisme et de ses valeurs, encore que je regrette que nous n’ayons pas développé de contacts avec les instances naturistes, malgré l’agrément en 1983 de la FFN comme mouvement d’éducation populaire ; il semble qu’après avoir modifié ces statuts la FFN soit en passe de retrouver cet agrément public ; il est peut-être temps de rattraper le retard pris dans le dialogue avec ce mouvement comme avec d’autres mouvements d’éducation populaire. Mais l’objet de cette contribution est surtout d’attirer l’attention sur les poursuites dont sont victimes ceux qui tentent d’affirmer par l’exemple que le droit à la nudité naturelle est une liberté fondamentale, bafouée au nom d’un puritanisme qui n’est dénué ni de perversité, ni d’intérêts commerciaux.

Dans l’ancien code pénal, l’article 330, fondé sur une loi de 1863, réprimait « l’outrage public à la pudeur ou aux bonne moeurs », notion très subjective et très relative, dans la mesure où, d’une part, la définition de la pudeur et son application à la nudité totale ou partielle des corps varie selon les cultures, dans l’espace comme dans le temps et où, d’autre part, la qualification d’outrage est une appréciation personnelle, du domaine du ressenti. Ce sont ces appréciations qui naguère ont amené des tribunaux à condamner « Les fleurs du mal » ou « Madame Bovary », le pantalon pour les femmes ou encore diverses tenues, passées ensuite dans les mœurs. Cet article posait problème du fait de sa subjectivité et donc de la place laissé à l’arbitraire dans l’appréciation de la constitution du délit. Mais, en raison même de ce caractère relatif et subjectif, il était plus à même d’être interprété en prenant en compte les avancées, voire les révolutions, morales. En revanche, dans le nouveau code pénal, l’article 222-32 qui lui a succédé, s’il est plus précis, est bien plus grave pour les adeptes de la nudité naturelle. En effet, visant « l’exhibition sexuelle », il condamne aussi bien ceux qui aiment être en tenue de nature pour se promener, se baigner, pratiquer un sport, jardiner, lire, voire ne rien faire, que ceux qui se livrent à de véritables agressions visuelles avec mise en évidence des organes génitaux, excitation sexuelle, copulation publique réelle ou simulée, autant de pratiques condamnables, en particulier dans le cadre de la protection des mineurs. La peine encourue peut aller jusqu’à 15000 euros d’amende et un an d’emprisonnement, ce qui n’est pas neutre, ni sur le plan financier, ni sur celui des conséquences administratives pour un fonctionnaire et a fortiori pour un enseignant. Or le nombre de nos collègues adeptes du naturisme sous ses différentes formes n’est pas négligeable.

Sans doute la circulaire d’application du code pénal précise-t-elle que, dans cet article, « l’incrimination a été formulée de manière à écarter toute possibilité de poursuites à l’encontre de personnes se livrant au naturisme dans des lieux spécialement aménagés à cet effet ». Mais cette disposition pose plusieurs problèmes :
- 1. Hors des centres, clubs, ou espaces naturistes officiels ou autorisés, le délit d’exhibition sexuelle est constitué du fait de la simple nudité, quels que soient le nombre des personnes incriminées, leur attitude ou leur comportement. C’est donc bien la nudité des corps qui est visée et considérée comme obscène par elle-même, ce qui n’est pas acceptable pour quiconque se revendique de valeurs humanistes : « homo sum - nihil humani alienum a me puto ».
- 2. Dans les lieux autorisés au naturisme, des comportements agressifs tels que ceux décrits plus haut pourraient ne pas être poursuivis : or pour les naturistes, si la nudité n’a rien d’obscène par elle-même, il existe bien des comportements obscènes dès lors qu’ils sont imposés à des tiers non consentants ou à des mineurs. Il semble toutefois que la jurisprudence infirme cette crainte.
- 3. Les pratiques de la nudité individuelle ou collective hors des espaces reconnus comme naturistes sont passibles de poursuites — et la jurisprudence montre là que le risque est fondé — y compris dans des espaces naturels suffisamment vastes (plages, forêts, landes, montagnes) et dans des espaces privés (logement, terrasse, jardin, balcons, véhicules) susceptibles d’être visibles de l’extérieur. Or le naturisme est un choix de vie et bon nombre de ses adeptes n’entendent pas limiter sa pratique à quelques jours ou quelques semaines par an dans un centre autorisé. Etre poursuivi pour avoir voulu vivre nu chez soi sans nécessairement occulter toutes les ouvertures constitue une atteinte intolérable à la liberté individuelle.
- 4. Cantonner la pratique de la nudité ordinaire aux seuls espaces « autorisés » comporte le risque de renforcer un courant qui n’a malheureusement pas besoin de cela, celui de la montée des communautarismes : chaque groupe social identifié par un discriminant social, philosophique, religieux, se repliant sur lui-même et ses pratiques collectives, partageant les mêmes lieux, disposant de son réseau autonome. Les effets d’une telle dérive sont prévisibles : incommunicabilité renforcée par l’idée de citadelle assiégée ; complexe de supériorité du groupe par rapport à l’extérieur ; à l’interne, prise de pouvoir par les plus extrémistes (les naturistes ont aussi leurs gardiens du temple) : si la culotte est obligatoire ailleurs elle sera strictement interdite ici et les déviants mis au ban du groupe, mais à l’extérieur c’est le groupe lui-même qui est présenté comme une secte déviante.
- 5. De nouvelles pratiques sociales, telles que la « randonue » et de nouvelles formes de manifestations comme les défilés « cyclonudistes » — visant à revendiquer une place pour les cyclistes dans les villes — qui tendent, au contraire du point précédent, à banaliser la nudité des corps et à permettre le dialogue entre les adeptes de cette tenue et l’ensemble de la société, tombent précisément sous le coup de cette loi. Au-delà de cette approche juridique — justifiée puisque c’est le cadre légal et réglementaire qui pose problème — on peut aussi souligner que la stigmatisation de la nudité et sa répression sert aussi des intérêts commerciaux (et pas seulement chez les marchands de maillots de bain) et aussi de domination. Décréter la nudité des corps obscène est une façon de valoriser leur exploitation dans les différentes formes de pornographie et de voyeurisme payant (cabarets, presse et médias people et/ou pornographiques, sites web du même acabit, etc.) ou d’en faire un argument publicitaire. La prescription en matière de décence vestimentaire est aussi toujours une affaire de domination et de prise de pouvoir. Toute norme imposée pose la question de qui l’impose, au nom de quoi et pour servir quels intérêts. (je ne développe pas mais cela mérite sans doute un débat approfondi). Dans son congrès, la FSU doit se prononcer résolument pour une évolution de la législation de façon à séparer clairement la nudité naturelle, en tant que liberté fondamentale, de la sexualité agressive qui doit être réprimée comme toute forme d’agression. Cette distinction est loin d’être impossible : en Europe même, les législations sont fort différentes et la simple nudité dans les espaces publics (ou dans certains d’entre eux) est acceptée dans plusieurs d’entre eux et pas seulement dans l’aire germanique ou nordique, mais également en Espagne.

La FSU doit également enrichir sa réflexion sur ces questions en nouant des contacts et recherchant des échanges avec le mouvement naturiste et les associations et fédérations qui le portent (FFN ; APNEL ; INF-FNI, etc).

Jacques AGNES

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