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Système éducatif et stratégie syndicale

lundi 3 septembre 2007

Séminaire U&A, août 2007

Système éducatif et stratégie syndicale

La conception gouvernementale

Avec la loi d’orientation pour l’Ecole d’avril 2005, le gouvernement s’est doté d’un cadre pour une transformation radicale du système éducatif. Elle change les missions de l’Ecole et avec elles les métiers de l’éducation, les modalités d’évaluation, de certification, les contenus et à terme les pratiques.

Les principes :

- Organiser la scolarité obligatoire autour d’un minimum garanti pour tous, le reste devenant un supplément pour les 50% d’une tranche d’âge qui ont montré leur capacité et leur « bonne volonté » à se conformer au modèle scolaire et qui sont donc destinés à obtenir un diplôme du supérieur.

- Définir des « standards » sur ce minimum, les moyens alloués aux établissements dépendant alors des résultats mesurés en rapport avec les objectifs fixés.

- Octroyer une autonomie aux établissements sous forme d’utilisation des dotations horaires dans un premier temps (horaires élèves, définition partielle des programmes...) puis sous forme financière avec responsabilité dans les recrutements des personnels dans un deuxième temps.

- Transformer l’orientation dont l’objectif premier serait de trouver l’adéquation entre les « possibilités » du jeune, mesurées et attestées dans son portefeuille de compétences, et les emplois recensés.

- Instaurer un système scolaire où l’individualisation contractuelle et la personnalisation primeraient ; l’individu désocialisé et rendu responsable des ses choix est sommé par la loi Fillon de choisir précocement un projet de formation ou d’insertion professionnelle, renforçant de fait le poids des inégalités sociales.

Les outils

L’outil pédagogique est le socle commun de connaissance et de compétences. Il permet de définir le minimum garanti et d’imposer une conception patrimoniale et identitaire de la culture.

En recentrant l’enseignement sur cet ensemble de repères historiques et culturels et sur quelques savoir-faire indispensables dans un environnement numérique et « globalisé », l’Etat réduit le périmètre de ses missions. Cela peut alors justifier la diminution de l’horaire obligatoire des élèves et en conséquence le nombre d’enseignants recrutés pour les encadrer.

Il permet d’introduire des modalités d’évaluation qui se rapprochent des standards internationaux : évaluation par compétences et mise en place d’un livret personnel qui suit l’élève tout au long de sa scolarité. Cette approche de la certification remet en cause la notion même de diplôme, et ce n’est pas un hasard pour un gouvernement libéral.

L’outil idéologique est le « mérite ». A partir du discours sur le travail, la notion de mérite évacue toutes les composantes sociales de la difficulté scolaire, et justifie la politique de mixité des élites.

L’outil structurel est la contractualisation. Elle passe par l’autonomie puisque le principe est bien de renvoyer au local la responsabilité de la mise en œuvre des orientations nationales. La conséquence principale est une multiplication des dispositifs d’évaluation. Plus l’Etat se désengagera et plus il mettra en place des dispositifs d’évaluation à tous les niveaux pour lui permettre, entre autre, de se justifier par rapport à l’opinion publique :

- niveau atteint par les élèves
- efficacité des personnels
- efficacité des établissements
- efficacité du système éducatif

La mise en œuvre

- Recentrer les activités d’enseignement autour du socle commun qui permet de diminuer l’horaire obligatoire élève et libère du temps élève pour le soutien d’un côté et les approfondissements et l’accès aux pratiques culturelles, artistiques et sportives de l’autre

- Confier d’autres missions aux enseignants sur le temps libéré par la diminution des horaires élèves : accompagnement scolaire, aide à l’orientation...le corollaire étant la redéfinition des missions des autres membres de l’équipe éducative et la baisse de leur recrutement

- Recruter localement des personnels pour venir en appui sur ces nouvelles missions

Les évolutions

En fait on passe d’un modèle où la nation s’en remet à l’Etat et au service public d’éducation nationale à un système de contrôle permanent, de justifications et de choix individuels. Dans le premier cas, les « boîtes noires » étaient nombreuses et les parents d’élèves avaient peu de prise sur les définitions des missions et sur le fonctionnement du système. La nécessité d’une plus grande transparence, portée par l’ensemble de la société a commencé à apparaître dans les années 90 à travers, par exemple la publication des indicateurs IPES et de leur utilisation pour établir les palmarès annuels des lycées. Les comparaisons internationales, l’exigence de justification des dépenses publiques, ont transformé petit à petit ce paysage et les « boites noires » ont, les unes après les autres, été mises sur la sellette : les résultats aux examens, les procédures d’orientation, les décisions de passage ou de redoublement, la place des parents, les contenus, les pratiques... toutes ces questions ont été posées et ont donné lieu à des transformations. Le sentiment, dans la profession, d’être dessaisie d’une partie de ce qui fondait sa professionnalité a été alors très fort et a contribué à l’établissement d’un malaise qui perdure.

L’actuel gouvernement pousse cette logique à son extrême et en profite pour renvoyer à la famille et à l’individu l’entière responsabilité de la réussite ou de l’échec, la collectivité se contentant d’offrir des services plus ou moins à la carte en supplément du minimum garanti. Cela nécessite de donner les éléments du choix présenté comme conscient : choix de l’établissement, de l’orientation et bientôt, pourquoi pas des contenus et des personnels... Dans ce contexte, il va être difficile de lutter contre le portefeuille de compétences, l’enseignement modulaire, la bivalence, la dévalorisation des diplômes, l’autonomie des établissements, la remise en cause des statuts, la transformation de l’orientation... d’autant que des organisations syndicales et des fédérations de parents d’élèves soutiennent une partie des ces évolutions. Le défi à relever est important, il nécessite une véritable prise de conscience collective et l’adhésion de la profession à une alternative crédible. C’est la responsabilité du SNES, premier syndicat du second degré, et au-delà de la FSU de dessiner cette alternative et de trouver les relais dans la société pour la porter.

Le projet du SNES

Le SNES a-t-il un projet éducatif ?

Cette interrogation est assez récurrente dans les instances du SNES depuis quelques temps. Elle traduit au moins le sentiment d’une insuffisance de cohérence dans les propositions du SNES et probablement celui d’être en permanence sur la défensive. La comparaison entendue ça et là avec la période des années 85-95 est significative : le SNES était à l’offensive ou tout au moins semblait l’être. Il faudrait analyser plus finement ce qui s’est passé après 1989 et la victoire de la revalorisation jusqu’à l’arrivée d’Allègre au ministère. Pourtant, le SNES a tout au long de ses derniers congrès développé des principes et avancé des propositions pour une évolution du système éducatif.

Les principes

Toute la pensée du SNES concernant le système éducatif reste fondée sur deux principes forts qui fédéraient les professions de l’éducation jusqu’à la fin des années 90 : démocratisation du second degré et maintien d’un service public national, lien avec les exigences de qualification des personnels qui suscitaient de vifs débats à l’intérieur de la fédération. Cette démocratisation a trouvé une traduction concrète par la diversification des voies du lycée (générale, technologique et professionnelle), notamment la prise en compte du technique, ignoré par l’Université, par les transformations des contenus et des pratiques, un questionnement sur les finalités de l’enseignement Sa justification sociale ne faisait pas de doute et elle restait portée par la valeur des diplômes qui protégeaient du chômage. L’idée que tous les jeunes pouvaient réussir était un ciment fort de notre projet. Sans doute, avons-nous sous-estimé le poids des inégalités sociales et des phénomènes qu’elles induisent d’une part et celui de la montée de la pensée libérale portée par la mondialisation d’autre part. Le premier facteur a joué fortement à partir de la fin des années 90 et la démocratisation est restée ségrégative : la responsabilité du monde éducatif est grande dans ce phénomène en particulier parce que la réflexion sur les présupposés de la culture scolaire et les écarts qui la séparent de nombre d’élèves a été mal et insuffisamment intégrée à définition des programmes et aux évolutions des pratiques. Pourtant l’expérience des séries technologiques et des séries professionnelles aurait pu être un levier formidable de cette transformation, mais elle n’a pas suffisamment irrigué les séries générales et les pratiques. Le grippage de la « démocratisation » après l’expansion quantitative du nombre des jeunes scolarisés (depuis la naissance des CES en 1963 qui a logiquement imposé la mise en place de la carte scolaire, jusqu’aux 3 bacs qui ont assuré l’augmentation du taux d’accès au bac) et le sentiment que les diplômes n’assuraient plus une reconnaissance sociale ont fait le reste.

Ajoutons que la bataille sur l’élévation des qualifications de tous avait été gagnée de façon relative car les moyens mis à disposition de publics plus hétérogènes sont restés proportionnellement inférieurs à ceux dont disposaient les 30% d’élèves accédant au bac en 80.

Les exigences

Le SNES a toujours porté une double exigence : exigence de qualité dans la formation des jeunes et en conséquence, dans celles des personnels, exigence d’un cadre national fort dont le coût incombe entièrement à l’Etat (personnels fonctionnaires d’Etat, programmes nationaux et examens nationaux...)

La décentralisation et la déconcentration ont commencé à mettre à mal ces exigences et le phénomène a été d’autant plus durement ressenti par les professions que le désengagement de l’Etat a poussé à la recherche de solutions locales plus ou moins satisfaisantes, mais qui ont souvent recréé des équilibres locaux difficiles à remettre en cause.

Sans doute avons-nous sous-estimé le poids de l’initiative locale et son irruption dans le paysage éducatif dès lors que les équipes se sont retrouvées bien seules pour faire face aux difficultés. Depuis des années nous affirmons que le système a réussi à amortir les bouleversements grâce à l’investissement des personnels, à leur inventivité et dans le même temps nous n’avons pas toujours été en mesure de fédérer ces énergies et de les opposer à des décisions nationales qui allaient à l’encontre des attentes « du terrain ». Notre discours est resté juste et cohérent, mais n’a probablement pas suffisamment intégré le quotidien des personnels. Nous devons travailler plus concrètement les notions d’autonomie, de travail en équipe, d’expérimentation, de collégialité dans les prises de décisions locales... ce qui permettra par ailleurs éviter que les initiatives locales ne soient instrumentalisées pour accélérer la déréglementation.

Les objectifs

Nos objectifs s’articulent toujours autour de l’accès de tous à des qualifications reconnues avec un horizon d’une qualification minimale de niveau IV. La revendication de la scolarité obligatoire prolongée à 18 ans n’en est qu’un outil et non une fin en soi.

La réflexion pédagogique sur les contenus et la culture commune, sur les pratiques

Elle a toujours été présente dans le SNES. Le congrès de Reims en 1995 l’avait (difficilement il est vrai !) même placée comme thème central. La création des observatoires des contenus et des pratiques était aussi en partie une réponse à l’absence de lieux institutionnels pour ces débats. Le SNES a, ces dix dernières années, beaucoup produit sur les disciplines, leurs contenus, leurs évolutions, leurs rapports entres elles (évaluation, notion de compétences, interdisciplinarité...). Cependant, le SNES garde toujours l’image d’un syndicat replié sur un certain corporatisme, frileux sur les évolutions pédagogiques. Il est pourtant le seul, souvent, à pouvoir s’exprimer dans le détail des programmes de toutes les disciplines, à porter une réflexion d’expert de la discipline dans les instances du type CSE et dans les rencontres avec les différents groupes chargés d’élaborer les programmes. Sans doute ces problématiques n’ont-elles pas été portées suffisamment par l’ensemble de l’organisation (l’exemple des TPE dont les contours ont été tracés par le congrès de Nice en est un exemple !) et n’avons-nous pas su ces dernières années en faire un pivot de notre action. Là encore les positions du SNES apparaissent comme défensives. Il est vrai que le contexte n’incite pas beaucoup à avancer des propositions dont on sait que le gouvernement risque de se saisir en les déformant et en les instrumentalisant (l’expérience des TPE, puis des IDD a laissé des traces durables...). La réflexion que nous devrions mener sur des alternatives au redoublement, par exemple, est en partie bloquée par cette crainte qui induit des réflexes de repli.

La réflexion sur les métiers

Elle aussi a toujours été présente dans les débats du SNES. Elle a pris des formes variées suivant les périodes et suivant les métiers. Depuis quelques années toutes les problématiques liées au début de carrière et à l’entrée dans l’activité professionnelles ont été prises en charge. Cela s’est traduit par des publications, une politique de formation syndicale à destination des nouveaux militants, la recherche d’un meilleur accueil des débutants dans les établissements et dans le syndicalisme, des propositions en terme de formation initiale. En revanche la réflexion sur les fins de carrière et nos propositions sur les déroulements de carrière et nos métiers ne suffisent pas à donner le sentiment que les « milieux » de carrière soient vraiment pris en charge. Pourtant les attentes sont fortes dans ce domaine, et les collègues ayant plus de dix ans d’exercice pourraient prendre une place importante et enrichissante dans la réflexion sur les métiers et les formes de revendication que le SNES pourraient adopter. La période qui s’ouvre, avec la constitution du livre blanc et du livre vert est une occasion à saisir : recenser les évolutions que nos métiers ont connues ces dix dernières années, anticiper celles à venir, proposer les façons de les faire reconnaître dans nos statuts, nos rémunérations et les déroulements de carrière... Cela doit être impérativement liées aux évolutions des contenus d’enseignement, aux améliorations de la vie scolaire, au maintien d’une orientation au service du développement individuel du jeune, aux nécessaires complémentarité dans l’exercice de nos missions.

Pour cela il faut avoir le courage de prendre à bras le corps les réalités des établissements et être en mesure d’apporter des réponses crédibles aux interrogations des collègues sur des sujets que nous avons sans doute parfois tendance à éluder ou à minimiser : comment motiver tous les élèves, comment faire face aux problèmes de violence, comment assurer concrètement la mixité sociale dans les établissements, comment créer les conditions d’un véritable travail d’équipe qui ne repose actuellement que sur l’engagement individuel des personnels, comment impliquer davantage les familles dans le respect des missions des uns et des autres, comment assurer un pilotage plus collégial des établissements, comment répondre aux besoin de reconnaissance des personnels sans tomber dans le piège du « mérite » qui, à terme, ne peut que diviser les personnels. La réflexion sur les métiers doit être centrale dans les mois qui viennent

Pourquoi tout cela ne fait-il pas projet ? Que manque-t-il ?

Dans le supplément de l’US reproduisant les mandats du congrès de Clermont-Ferrand 24 pages sont consacrées aux thèmes 1 et 2. 24 pages d’analyse, de revendication, d’exigences. Et tout cela ne semble pas faire projet aux yeux de nombreux militants, aux yeux de la profession, aux yeux de l’opinion publique.

Les raisons sont sans doute diverses et la liste qui suit n’est pas exhaustive et mérite débat :

- cet ensemble, pourtant riche, apparaît beaucoup plus comme une réponse aux attaques subies par le système éducatif (et le second degré en principalement) que comme une dynamique de transformation.

- les alternatives économiques qui pourraient crédibiliser nos demandes d’investissement éducatif doivent encore être travaillées et popularisées

- la mise en perspective de ce que pourrait être notre projet éducatif ne s’inscrit pas dans un projet de société lisible et son caractère d’incompatibilité avec la réalité vécue par les personnels est un obstacle important. Le mouvement de 2003 n’a pas encore fait l’objet d’assez d’analyses, sans doute parce qu’il n’a pas débouché immédiatement sur des avancées tangibles. Pourtant il mérite d’être regardé de près parce qu’il a montré, comme le mouvement contre le CPE, que lorsque les revendications s’inscrivent dans la perspective d’un débat de société, le mouvement syndical a la possibilité de fédérer les professions de l’éducation et d’obtenir le soutien majoritaire de la population.

- nos propositions ne trouvent pas d’écho, ni de relais dans la société civile ou dans la sphère politique. Sans doute notre volonté d’indépendance politique, qui ne doit pas être remise en cause, nous empêche-t-elle parfois de créer les relations nécessaires à la prise en compte de notre projet dans le débat politique pourtant indispensable pour faire avancer nos idées dans la société française.

Le mirage Sarkozyste a fonctionné

Elu avec 53% des voix, dans un contexte de participation record à une élection présidentielle, le candidat Sarkozy a réussi à capter l’espoir, à défaut d’adhésion, d’une majorité. Les clés de ce succès sont encore à analyser, mais on peut considérer que 2 d’entre elles émergent assez nettement :

- un véritable travail politique à partir du réel a permis de tracer les chemins entre les attentes des électeurs et les objectifs du candidat. Ainsi, alors que les thèmes les plus portés dans la campagne étaient traditionnellement plutôt favorables à la gauche, le candidat de droite a su faire croire qu’il était le plus à même de les concrétiser dans le quotidien et que ses réponses correspondaient aux attentes individuelles.

- une capacité à faire croire qu’aucun sujet n’est tabou, qu’aucune question n’est éludée a entretenu le mirage d’un homme politique capable de tout entendre et de répondre de façon pragmatique aux interrogations.

Les éléments positifs du contexte

Le contexte comporte cependant des éléments positifs sur lesquels nous devons pouvoir nous appuyer :

- le renouvellement de la profession doit être l’occasion de redonner souffle à notre corpus politique et syndical. En effet il peut être l’occasion de donner les repères historiques, politiques, sociologiques qui le fondent aux générations qui les méconnaissent le plus souvent. Cet effort d’explicitation, de mise en perspective doit nous amener à trouver des formes nouvelles de discours qui nous font encore défaut. Cela peut aussi nous conduire à construire, avec ces générations, des formes de militantisme correspondant mieux aux modes de vie et aux attentes des jeunes collègues qui, ils l’ont montré a plusieurs reprises depuis 2003, ne sont pas si éloignés que cela de l’action et de l’engagement publics.

- le débat politique à gauche va inévitablement rebondir. Le syndicalisme ne sera pas épargné. Il est indispensable que le SNES prenne sa place, non dans l’élaboration de stratégies politiques bien évidemment, mais dans tout ce qui tournera autour du débat de société dans ses composantes sociologiques, éducatives et citoyennes.

Quelle stratégie ?

Cette question n’est pas la plus simple et mérite un large débat. Cependant l’urgence est réelle. Nul, aujourd’hui, ne peut dire si la « méthode sarko » ne provoquera pas, à plus ou moins brève échéance, un conflit social majeur, ni comment le mouvement syndical en sortira. En revanche, on sait combien il est difficile, les premiers mois d’un gouvernement, d’enclencher des luttes majoritaires et soutenues par l’opinion publique. La stratégie utilisée par le gouvernement pour la loi sur l’Université et celle sur le service minimum montre bien les difficultés auxquelles nous serons confrontées dans les mois qui viennent.

En attendant, nous devrons faire face à des décisions lourdes de conséquences pour le système éducatif et pour nos métiers. Notre responsabilité est grande et nous avons devant nous un chantier de longue haleine.

On pourrait définir 3 grands axes et un principe.

Les axes

- démonter sans relâche et patiemment les ressorts du mirage sarkozyste. Cela implique d’éviter la lamentation et le catastrophisme, mais de savoir pointer à la fois les côtés démagogiques et/ou « poudre aux yeux » des décisions prises et les véritables transformations en profondeur de la société que ces décisions provoquent. L’exercice n’est pas simple et un exemple suffit à en montrer les difficultés : l’accompagnement scolaire.

- rendre crédible en parallèle notre projet sur les plans économique, pédagogique et « corporatiste ». Là encore l’exercice est compliqué, mais il paraît incontournable. A cet égard, la réflexion sur les grandes problématiques économiques, environnementales et sociales doit être renforcée à tous les niveaux de notre syndicat. Il est en de même pour le travail sur les métiers de l’éducation.

- inscrire notre projet éducatif dans un projet alternatif de société, intégrant la dimension européenne. La question scolaire entre de plain-pied dans les débats européens mais aussi mondiaux sur la place de l’état, les formes de société, l’investissement éducatif. Cela nécessite de construire des relations respectant notre indépendance, avec les mouvements associatifs et politiques dont nous ne pourrons nous passer pour faire avancer nos idées et notre projet dans l’ensemble de la société.

Un principe

Nous devons aborder sans tabous, et avec un principe de réalité, les questionnements de nos professions. Nous ne pouvons rester éloignés des interrogations qui traversent nos collègues dans leur quotidien, dans leurs difficultés dans leurs espoirs et leurs attentes. Cela induit un travail urgent sur quelques points :

- la difficulté scolaire, les ruptures du système (la 6ème et plus largement l’organisation du collège, la seconde et les 3 voies du lycée, l’entrée dans le supérieur).

- la notion de « fondamentaux » dans l’éducation. S’oppose-t-elle totalement à notre conception de culture commune ? Si non, comment concilier les deux dans une dynamique qui permette la fluidité des parcours scolaires et le maintien d’un objectif commun en fin de scolarité obligatoire portée à 18 ans ?

- les métiers de l’éducation. Il faut englober dans ce travail les complémentarités des personnels dans l’exercice de leurs missions, la collégialité dans les prises de décision, l’autonomie et les marges de manœuvre locales liées à l’expérimentation... Cette approche s’oppose à la notion de typologie des métiers telle que voudrait nous l’imposer l’institution et que nous devons combattre.

- la transparence du système et la nécessité de rendre des comptes. Quelles évaluations des différents échelons restent à construire ? Les rapports avec les familles sont à repenser. Dans ce cadre la construction de véritables professionnalités devrait nous permettre d’entrer dans cette problématique sans crainte de jugement et avec des exigences compréhensibles par l’extérieur (travail sur l’évaluation des élèves, sur nos pratiques, sur nos attentes, sur nos projets...)

Des exemples d’actualité : l’accompagnement scolaire, le redoublement

Le redoublement

Toutes les études montrent que le redoublement n’a que très peu d’efficacité, et seulement dans des cas très précis (voir les Observatoires de juin 2007 et le congrès du Mans 2005). Cependant ce sujet est resté relativement tabou dans notre organisation pour deux raisons essentiellement :

- nous n’avons pas d’alternative crédible et souvent l’idée que le non redoublement est encore plus inefficace sur tel ou tel cas précis qui vient à l’esprit occulte la réflexion.

- nous avons le sentiment (justifié par ailleurs) que la remise en compte du redoublement par l’institution a pour but essentiel la récupération de moyens. Le souvenir d’expériences antérieures joue alors à plein et nous empêche peut-être de réfléchir à d’autres modalités de prise en charge de certains types de difficultés.

Est-il souhaitable de sortir de ces logiques ? Si oui, comment faire ? Sinon, ne prenons-nous pas le risque de devoir, toujours sur la défensive, traiter un sujet sur lequel nous serons en complet déphasage et sans jamais pouvoir être force de propositions ?

Du côté ministériel, la recherche des « gisements » de postes conduira tôt ou tard à une remise en cause du redoublement. La première étape est la mise en place des PPRE et dans une moindre mesure des heures réservées à l’accompagnement scolaire.

Quelles sont nos marges de manœuvre ? Comment parvenir à des propositions alternatives qui ne servent pas de prétexte à l’administration pour supprimer des moyens ? Réciproquement pourra-t-on (et est-ce souhaitable et crédible) justifier la conservation de moyens pour une politique dont toutes les études montrent l’inefficacité et qui est peu compatible avec l’évaluation par compétences prévue avec la mise en place du socle commun ? Ne serions-nous pas plus forts pour promouvoir des parcours de réussite en avançant des alternatives qui légitimeraient des demandes de moyens spécifiques ? La profession ne manque pas d’expériences sur le sujet et il serait bon de commencer par exiger un bilan de tout ce qui existe et de ce qui a été tenté. Par ailleurs, une stratégie du type « chiche, on expérimente des dispositifs alternatifs au redoublement avec des moyens spécifiques correspondant aux coûts des redoublements ainsi évités » ne serait-elle pas plus efficace et porteuse ? Sommes-nous prêts, idéologiquement et matériellement, prêts à relever ce type de défi ?

Le soutien et l’aide aux devoirs

La situation est différente car le SNES a beaucoup plus travaillé, dans ses congrès, les problématiques liées à l’aide aux devoirs et au soutien : travail personnel de l’élève, analyse des dispositifs existants d’aide individualisée...

Cependant, le positionnement du SNES sur ces questions n’apparaît pas très lisible à l’extérieur...et même parfois à l’intérieur.

Comment reprendre la main sur ces dossiers, alors que le ministère vient de publier une circulaire instaurant 2H d’accompagnement scolaire, 4 jours par semaine, de 16H à 18H dans tous les collèges de l’éducation prioritaire ? Sans doute ce dossier peut-il être le premier dossier pédagogique qui serait l’occasion de mettre en pratique notre stratégie syndicale face au nouveau gouvernement.

Service des enseignants

Les solutions généralement apportées à la crise du métier relèvent généralement d’une volonté bureaucratique d’encadrer le métier, de contrôler l’activité, de la prescrire davantage, et d’introduire un lien fort entre la manière de s’y soumettre, les promotions et les mutations. Cette façon de voir fait fi de l’activité professionnelle elle-même et considère les enseignants plus comme des sujets que comme des acteurs et des concepteurs. L’implicite, c’est finalement que les professeurs sont une profession libérale qui a besoin qu’on lui édicte des règles, que les enseignants ne travaillent pas assez ou du moins pas comme l’on voudrait qu’ils travaillent et qu’il faut les contraindre par la recherche d’une rationalisation à outrance du métier et par des systèmes de promotion et de mobilité qui feraient une plus grande place au mérite, mérite qu’on tente de mesurer par des référentiels, alors même que ce métier ne s’y prête.(Exemple actuel en France, des propositions du rapport Thélot sur les modalités de service des enseignants, remplacement, évaluation.) C’est là le facteur explicatif central de la résistance aux réformes.

Il ne suffira pas de compter sur le renouvellement générationnel ; le "malaise" enseignant est vécu collectivement quel que soit le type d’établissement, dans plusieurs pays. Sentiment de fragilisation de l’autonomie professionnelle (régulation de l’activité, modes de formation au métier...). Injonctions paradoxales d’ailleurs des institutions, oscillant entre un discours sur l’innovation et un discours sur la prescription et la rationalisation.

Les réformes soulèvent souvent l’opposition non parce que les enseignants seraient individualistes et conservateurs mais parce qu’elles veulent imposer un cadrage, notamment par les chefs d’établissement, des pratiques professionnelles, un alourdissement des tâches, des charges liées aux logiques de résultats et de pilotage managérial. Décentralisation de l’activité enseignante, affaiblissement de l’autonomie professionnelle.

Exemple du travail collectif : on peut expliquer sa faiblesse du fait de la forme même de l’organisation scolaire, des difficultés matérielles (temps, espace) mais plus fondamentalement selon Barrère (2002), une des raisons du faible développement du travail collectif tient surtout à ce que les objets de ce travail collectif ne portent pas directement ou suffisamment sur les enjeux professionnels les plus cruciaux pour les enseignants : soit tout ce qui peut affecter la gestion de la classe, ce qui concerne la mise en place des conditions d’apprentissage et d’un ordre scolaire. Si le travail collectif affecte et porte sur ces enjeux, on peut pense que l’intérêt qu’il représente pour les enseignants augmentera. Cette thèse trouve d’ailleurs des éléments de confirmation dans les travaux de Kherroubi et Van Zanten (2002) qui montrent que le travail collectif se développe plus aisément dans les "établissements difficiles" où les enseignants trouvent dans le développement de stratégies collectives face aux incivilités des réponses pertinentes face à ce qui leur importe.

Pour que cette virtualité s’actualise, il ne suffit pas, comme le suggère le rapport Thélot (2004), de procéder à une redéfinition formelle des services (présence obligatoire au-delà du temps d’enseignement dans l’école) couplée à une accentuation de l’autonomie de gestion de l’établissement (évaluation des personnels par le chef d’établissement et définition contractuelle et négociée des "modalités de service" au niveau de l’établissement). Il faut encore que l’organisation et l’orientation du travail collectif porte sur des domaines jugés importants par les enseignants eux-mêmes, faute de quoi il sera considéré comme une charge supplémentaire, un facteur d’intensification du travail qui accentue les tensions et freine l’investissement dans ce qui reste considéré comme le cœur du métier.

Pour faire adhérer les enseignants, prendre en compte les conditions qui découlent de l’analyse des besoins du métier. Ce dernier ne peut plus se contenter, pour trouver de nouvelles ressources, des références professionnelles traditionnelles que sont l’attachement à l’université, à son rapport au savoir et à des modalités de travail, l’autonomie et l’initiative personnelle dans l’activité professionnelle, voire l’indépendance, le goût pour une discipline, la laïcité et l’attachement au service public. Ces références doivent être précisées et retravaillées dans l’objectif de reconstruire une culture professionnelle. Pour cela, il est nécessaire d’augmenter les connaissances sur le métier enseignant, de repenser la formation en considérant ce métier sous l’angle d’une activité de travail. Cela suppose une réflexion sur le contenu des licences, l’acquisition d’une culture professionnelle sur le durée, depuis la pré professionnalisation jusqu’à la formation continue sur laquelle les universités devraient davantage se pencher ; cela demanderait, dans le cadre de la formation initiale un travail sur les questions de transmission, les transformations à l’œuvre dans le passage des savoirs savants en programmes et savoirs scolaires, l’articulation de la recherche fondamentale et de la didactique. Recréer des règles du métier faciliterait la pratique de chacun , en donnant des outils permettant des choix éclairés , permettrait aussi aux enseignants d’être davantage acteurs des évolutions de leur métier dans toutes ses dimensions et ses enjeux. Pour cela ,il faut que les conditions d’un travail collectif soient données, qu’il puisse être pensé comme constitutif de la pratique et facilité.

Roland HUBERT, Frédérique ROLET Août 2007

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