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En débat / Société

La Laïcité positive est un piège

lundi 3 novembre 2008

Depuis son arrivée à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy a multiplié les remises en cause de la laïcité et prôné une véritable rupture cléricale avec ce qui semblait être un consensus politique.

La première explication à ces propos provocateurs se trouve sans doute du côté de cette part de l’électorat présidentiel âgée et traditionaliste qui a besoin d’être rassurée dans ses convictions morales par un président dont le comportement privé tel qu’il est rendu public ne correspond pas vraiment au modèle qu’il s’en font.

La deuxième explication est sans doute plus tactique : en attaquant de front ce qui semble être une évidence, Nicolas Sarkozy met les pieds dans un débat dont la grande majorité de nos concitoyens de maîtrise plus les codes. Il incite ainsi à une réaction « laïcarde » déconnectée de toute mise en mouvement de l’opinion, qui agiterait des slogans paraissant d’autant plus irréalistes et provocateurs qu’ils seront, dans leur phraséologie même, incompréhensibles. Il aurait ainsi démontré, le cas échéant, que le « radicalisme » n’est pas dans les positions qu’il défend, mais dans celles de ses adversaires, justifiant par là même ses propres orientations, et disqualifiant les défenseurs de la laïcité, voire ceux du consensus laïc.

Cette tactique, propre à la droite radicale, qu’elle soit nord-américaine ou européenne, a été très efficace. C’est ainsi, ne serait-ce qu’en France, que le discours « différentialiste » opposé à la montrée de l’extrême-droite dans les années 80 a conduit à un renversement des valeurs, les victimes du racisme étant désormais assimilées par une grande partie de l’opinion à des intégristes mettant en cause les fondements mêmes de la République, alors que les racistes sont considérés comme moins dangereux pour la démocratie, voire posant « de vraies questions ».

Mais il est aussi une troisième raison, sans doute plus essentielle, car liée aux fondements de la pensée politique de Nicolas Sarkozy. En bon reaganien, il estime que le rôle de l’État n’est pas d’assurer la justice sociale et la solidarité, mais l’ordre et la prospérité économique, entendue évidemment selon des critères purement libéraux : accumulation du capital et de richesses, sans aucun souci de redistribution, les profits allant aux « plus méritants ».

Dans un tel contexte, s’il est logique que l’État assure par l’usage de l’impôt les risques pris par les banques au lieu d’investir dans le service public, ce serait évidemment se tromper lourdement que d’imaginer que les dégâts sociaux de ces choix puissent être minimisés par ceux qui nous gouvernent, ne serait-ce que parce que de tels dégâts peuvent produire de tels désordres que la prospérité des plus riches risquerait d’en être atteinte.

C’est là que, dans la société sarkozienne, les religions interviennent. Face à la destruction du lien social que le service public n’assure plus, c’est sur la base de communautés de croyances que le tissu social, devenu patchwork, pourra tenir et résister aux déchirures du libéralisme. C’est qu’en effet, le prêtre, l’église, la communauté religieuse, ont sur l’instituteur une supériorité indéniable : l’adhésion une religion ou une église n’attend pas de résultat hic et nunc, tandis que l’école, par exemple, incapable faute de moyens de répondre à la demande sociale, peut décevoir, et a même déçu.

La religion, dans cette logique communautariste, est le pendant social du libéralisme économique : il s’agit de lui faire assurer, par un « retour » à une morale transcendante une forme de régulation des mœurs, tandis que, par la voie caritative, elle assure aussi une forme de régulation sociale dans laquelle les pauvres n’ont plus de droits, sauf celui d’être reconnaissant au prêtre qui leur évite de mourir de faim.

De ce point de vue, ce qui est sans aucun doute le plus extraordinairement nouveau dans le positionnement de Sarkozy, c’est le point de cynisme auquel il atteint dans cette vision. Qui peut croire en effet une seule seconde que dans l’ordre moral qui est ainsi promu, l’ordre ne prime pas totalement, pour lui, sur la morale ?

Ces données nouvelles du débat laïc imposent que l’on conteste non pas le discours sarkozien, mais son fondement. Pour nous, engager le débat sur le terrain philosophique, tentant de démontrer la supériorité du laïc sur le clérical, défendant la grandeur de l’instituteur face au prêtre, l’ouverture de l’école contre l’étroitesse de l’église, serait entrer dans le piège qui nous est tendu.

Ce n’est pas d’un point de vue moral ou religieux que Sarkozy défend la religion, mais d’un point de vue purement politique ; et c’est politiquement que nous devons défendre la laïcité. Bref, user de notre raison, de notre esprit critique, de notre capacité à élargir les questions ... tout ce que la fréquentation de l’école laïque devrait nous avoir permis d’acquérir.

Hervé LE FIBLEC

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