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En débat

Restaurer des prérecrutements de type IPES : un enjeu syndical majeur pour le SNES et la FSU

par Marianne Auxenfans (SNES, ancienne secrétaire nationale de catégorie IPES-CPR-ENS)

lundi 4 mai 2009

La revendication de prérecrutements sur le modèle des anciens IPES (Instituts de Préparation à l’Enseignement Secondaire) est à nouveau d’actualité, dans le contexte actuel des luttes contre la réforme Darcos de la formation des maîtres. Pour autant, en faire un axe stratégique fort de notre action suppose d’engager une campagne d’explication : la mémoire de ce qu’étaient les IPES, disparus il y a 30 ans, s’est largement perdue dans la profession et dans le syndicat lui-même, de même que pour les autres systèmes de prérecrutement (EN, CFPT….). Mais l’enjeu est tel que c’est un combat qui vaut largement d’être mené.

Le constat a été fait ces derniers mois : le SNES peine à faire partager sa revendication historique d’une élévation de la qualification des enseignants, aux étudiants en lutte contre la mastérisation Darcos. Bien des étudiants perçoivent mal l’utilité d’une élévation du niveau de recrutement et surtout ils n’en voient pas la faisabilité concrète, pour eux-mêmes et leur génération. Pis encore : la masterisation est perçue, non sans raisons, comme un obstacle supplémentaire, infranchissable pour beaucoup, dans l’accès aux professions de l’enseignement. Rien d’étonnant à ce que ces étudiants rejettent la masterisation, et toute élévation du niveau de recrutement avec.... Le risque est réel que le SNES se trouve isolé et se coupe durablement des étudiants qui se destinent à l’enseignement, c’est-à-dire…. de ses futurs syndiqués potentiels ! Il est donc essentiel que, tout en argumentant en faveur de l’élévation du niveau de recrutement, nous impulsions dès maintenant la mobilisation sur le prérecrutement, principal moyen de rendre cette élévation praticable, donc crédible. Engager une campagne offensive pour les prérecrutements, c’est rallier le soutien immédiat des étudiants, avec in fine des chances de les convaincre de la pertinence de l’élévation du niveau de recrutement. Tant que la campagne sur les prérecrutements restera embryonnaire, pas de convergence SNES-étudiants dans l’action, donc le rapport des forces restera ce qu’il est : de quoi obtenir au mieux l’enterrement de la masterisation Darcos, mais pas de quoi imposer une élévation du niveau de recrutement conforme à nos mandats, ni même les prérecrutements qui sont pourtant déjà, masterisation ou pas, si nécessaires.

Mobiliser dès maintenant sur les prérecrutements est d’autant plus urgent que si le ministère doit manœuvrer en recul sur le principe d’aides financières aux étudiants se destinant à l’enseignement, il le fait en avançant comme « solution » exclusive l’embauche en tant qu’Assistant d’Education… ce qui revient à contraindre les futurs enseignants à passer par les fourches caudines du précariat, du recrutement local par le chef d’établissement, bref à en remettre une couche dans le « formatage » et la surexploitation des jeunes générations qui en ont déjà soupé. Quant à l’efficacité d’un tel dispositif comme aide aux études, elle est nulle, et tout le monde le sait, à commencer par les AED actuels : survivre avec un demi-SMIC qui les met en dessous du seuil officiel de pauvreté, jongler entre leur travail à la Vie Scolaire qui n’est pas une sinécure, plus souvent d’autres jobs alimentaires, les transports et les contraintes universitaires, combien doivent jeter l’éponge ?

Or l’enjeu est justement que les jeunes qui visent l’enseignement ne soient plus acculés à lâcher leur projet en cours de route, mais aidés à le mener à terme, non par charité, mais dans l’intérêt de la collectivité. Notre système éducatif a besoin de dizaines de milliers de jeunes profs en quelques années pour compenser les départs en retraite : il faut donc un dispositif qui marche, pas une passoire (très logiquement, Darcos préfère un dispositif- passoire, puisqu’il n’a nulle intention de remplacer les départs à la retraite….).

Par ailleurs, revendiquer comme nous le faisons un recrutement au niveau mastère, sans en rabattre sur le niveau dudit mastère, implique que ces étudiants se consacrent à leur formation et à rien d’autre : c’est bien pour cela que leur prérecrutement, garantie qu’ils n’auront plus à se disperser en petits boulots chronophages, est aussi une garantie que leur niveau de formation pourra effectivement s’élever. Recrutés par concours locaux dans les universités à Bac + 1, les IPESiens percevaient un prétraitement correspondant à 171% du SMIC de l’époque, avec l’obligation d’assiduité et de réussite universitaire [1] , quand Darcos propose 50% du SMIC à condition de passer au moins la moitié de son temps hors de la fac à surveiller les élèves… quel dispositif assurera le mieux la réussite des étudiants et leur accès à une qualification supérieure ?

On ne le sait pas assez : le rétablissement d’ « un système comparable à celui des IPES » est une promesse de campagne parfaitement explicite du candidat Sarkozy dans son discours de Maisons Alfort du 2 février 2007 [2]. Proposer moins est donc non seulement indéfendable en termes d’efficacité, mais aussi scandaleux en terme politique. Le Président de la République s’est engagé et doit être mis en demeure de tenir ses engagements. Le rétablissement de prérecrutements de type IPES n’est pas négociable, ce qui reste à négocier, c’est le calendrier, le volume et les modalités de transposition au contexte d’aujourd’hui, qui n’est plus, à bien des égards, celui des années 60.

Cette transposition donne lieu, légitimement, à débat. Différence majeure avec les années 60, où les formations initiales des différents corps d’enseignants étaient cloisonnées et hiérarchisées, la matrice en est maintenant commune (recrutement à la licence, passage par l’IUFM), et il n’est pas question de revenir sur cet acquis. Le corollaire, c’est que la référence aux prérecrutements passés ne saurait se réduire au modèle unique des IPES puisqu’elle renvoie aussi aux Ecoles Normales, au CFPT, aux ENNA ( ?), aux ENS. Il y a des choses bonnes à (re)prendre dans chacune de ces expériences, pour en tirer les principes d’un prérecrutement adapté aux besoins d’aujourd’hui.

Certains points font consensus, qu’il s’agisse de la nécessaire articulation entre le volume de prérecrutement, et le plan pluriannuel de recrutement, le montant financier qui doit permettre de se consacrer entièrement aux études, donc de garantir l’excellence en fin de cursus, ou encore l’attractivité aujourd’hui bien supérieure d’un présalaire avec cotisation retraite, par rapport à une allocation ou une bourse.

Une des leçons de l’expérience IPES, c’est qu’il est très important, pour son attractivité, de veiller à ce qu’un prérecrutement n’enferme pas ses étudiants dans un débouché exclusif, et qu’au contraire il offre des possibilités de réorientation et de poursuite d’études au-dela du débouché principal, ne serait-ce que pour une fraction des étudiants prérecrutés (ex : possibilité d’aller à l’agrégation et au doctorat, au-dela du CAPES). Dans le contexte d’aujourd’hui, PE et PLC passant par les mêmes licences, cela veut aussi dire qu’on laisse la possibilité de bifurquer vers le 1er ou le 2d degré – sachant que c’est le 2d degré qui est actuellement le moins attractif…

Autre leçon des IPES : le recrutement sur critère de mérite universitaire (par concours) n’est nullement contradictoire avec un effet de rattrappage des inégalités géographiques : rien n’empêche l’Etat d’allouer à telle ou telle université, par exemple dans les DOM, un complément de postes d’IPES à cette fin.

De même, le recrutement sur critère de mérite n’a pas empêché que les IPES bénéficient largement aux étudiants issus des milieux populaires, devenant de fait un instrument de démocratisation des études supérieures et de l’accès à la profession enseignante, ce qui n’était pas leur fonction première. Ils ont aussi fourni à bon nombre des précaires de l’époque le moyen de financer la préparation à temps plein de la licence, puis du concours, donc l’accès à la titularisation, avec pour effet collatéral heureux la cohabitation et le brassage, à l’intérieur des préparations, de jeunes étudiants et d’anciens MA, déjà dotés d’expérience sur le tas. Cela a contribué à y faire régner un climat de formation d’adultes, où les débats professionnels, pédagogiques et syndicaux jouaient leur rôle dans la construction d’une identité professionnelle et collective forte [3].

Ceci dit, si les IPES ont permis en nombre appréciable des trajectoires inespérées, par exemple l’accès d’enfants de petits agriculteurs ou d’ouvriers à des postes de professeur, de chercheurs au CNRS ou d’universitaires, c’est parce que les IPES étaient un maillon dans une chaîne qui commençait alors en 3e avec le concours de l’Ecole Normale d’Instituteurs, dont certains lauréats pouvaient aller au lycée pour décrocher le bac, puis poursuivre en fac voire en prépa comme IPESiens, pour enchaîner avec Normale Sup. Ainsi s’explique le fait que, jusqu’à la fin des années 70, le recrutement populaire n’était pas totalement absent des prépas et des ENS, ce qu’il est devenu ensuite… Combinez un flux continu et très important (entre 1957 et 1978, entre 25 et 30 000 personnes étaient en permanence salariées pour étudier en vue de devenir enseignants [4] ), et de multiples paliers de prérecrutement, dont le premier dès la fin de 3e, vous obtiendrez une contribution très significative à la démocratisation de l’enseignement, y compris si l’objectif premier n’est pas celui-là.

De ce point de vue, présenter comme le fait Darcos des bourses de mastère (ou des emplois d’AED réservés, au niveau du mastère) comme un moyen sérieux de démocratisation de l’enseignements supérieur prêterait à sourire, si le problème n’était pas si grave. Il est bien tard pour lutter contre la sélection sociale, une fois au stade du mastère, et même à l’entrée de l’université. Les évictions, l’autocensure pour raisons financières, le repli vers des formations courtes, c’est avant que cela se joue, et c’est autant de jeunes qui n’iront jamais grossir les 50% d’une classe d’âge à la licence, vivier dont la formation des maîtres (entre autres…) a absolument besoin. Point n’est besoin d’attendre que l’élévation du niveau de recrutement soit mise en place, pour s’attaquer à ce problème déjà patent, que la crise économique va sans doute aggraver encore.

La logique démocratisante qui est la nôtre doit conduire à se poser la question d’un premier palier de prérecrutement précoce, par exemple en fin de 3e, quand le tri social n’est pas encore totalement accompli. A quinze ans, certains ont le projet de devenir enseignant. On peut en outre escompter des effets d’entraînement intéressants dans les lycées populaires, des choix d’orientation moins prédéterminés et plus ambitieux, des filières redynamisées par la perspective d’un débouché crédible dans l’enseignement ? En tout cas, ouvrir des prérecrutements nationaux dès le lycée, à côté de bourses sur critère social revalorisées, est infiniment plus sain que multiplier les dispositifs dérogatoires locaux financés par des sponsors privés ou le Plan Banlieues, au nom de la « discrimination positive » sauce Descoings dont on va sans doute nous abreuver, relance de la réforme du lycée aidant.

Mais, nous dira-t-on, maintenant que c’est la crise, Sarkozy va pouvoir dire que rétablir des IPES coûtera trop cher… Que répondre à cela ? Eh bien justement, que c’est mieux d’investir dans l’Education avec la certitude d’un « retour sur investissement » (via l’engagement à enseigner pendant 5 ans, que signent les prérecrutés en contrepartie de leur présalaire), que de claquer des milliards en cadeaux aux banques sans contrepartie. Et qu’investir dans l’emploi public, créer les conditions du maintien et de l’amélioration de la qualité des Services publics, c’est un levier de sortie de crise. Que la jeunesse a droit à autre chose que des emplois aidés et des « CDI » de 2 ans, « panacées » éculées depuis vingt ans. Et ça, ni l’Académie des Sciences ni la CPU (pourtant favorables à des prérecrutements) ne peuvent le dire : seulement des organisation syndicales combatives, attachées au service public d’Education, au premier chef le SNES et la FSU, dont c’est le rôle légitime – et donc, aussi, la responsabilité.

C’est d’ailleurs l’intérêt manifeste de ces syndicats, de mener cette bataille. Les attentes à l’égard du syndicalisme sont devenues considérables : il s’agit de ne pas les décevoir. Le SNES peut syndiquer les jeunes massivement à condition de démontrer en actes qu’il est l’outil collectif qu’il leur faut. On déplore les difficultés à fidéliser les nouveaux syndiqués, qui adhèrent « pour les mutations » et prennent de plein fouet les difficiles conditions d’affectation et d’exercice comme TZR. Il est clair que se syndiquer dès la fac dans la lutte pour des prérecrutements, puis au sein des IPES dans l’action pour l’augmentation des postes aux concours et la qualité de la formation, cela fonde une adhésion autrement plus solide au syndicat… Il fut un temps où le SNES syndiquait des centaines d’IPESiens et où les S1 des centres de formation constituaient un vivier de futurs cadres militants, avant même l’entrée dans le métier. L’ancrage du SNEP parmi les profs d’EPS donne une idée de ce qu’il est possible d’atteindre, en inscrivant la dimension syndicale dans l’identité professionnelle, dès le stade de la formation initiale.

N’attendons pas plus longtemps pour engager une campagne syndicale forte en faveur de prérecrutements. Sollicitons les témoignages de ceux qui en ont jadis bénéficié, qui peuvent expliquer l’efficacité d’un tel dispositif. Expliquons aux étudiants ce qu’ils peuvent en attendre. Ouvrons le débat sur les modalités au sein de la FSU et avec les partenaires concernés. Mais ne tardons plus.

Marianne Auxenfans

m.auxenfans@wanadoo.fr

[1] « Vers la pénurie d’enseignants de sciences », article de Pierre Arnoux, Claudine Robert et Jacques Treiner, paru dans le Monde du 6/02/03

[2] Discours du candidat Sarkozy à Maison Alfort le 2 février 2007

[3] Revue « Point de repères » de l’IRHSES N° 9, mai 1992 Les IPES de 1957 à 1978 : une expérience de prérecrutement (André Drubay). Voir en particulier les témoignages des anciens Secrétaires nationaux de catégorie Rachel Jaeglé, Pierre Vermeulin, Jean Mativet.

[4] « L’ascenseur social ne fonctionne que si l’on paye les charges « , article de Pierre Arnoux, Pierre Fontes, André Morel, Jacques Treines paru dans la Monde du 28/12/2005

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