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En débat / Société

Pour une intelligibilité politique de la laïcité

lundi 2 janvier 2006

Par Jean-Paul Beauquier

100 ans après le vote d’une loi dont un téléfilm récent a donné une assez bonne image à la fois du contexte et des enjeux d’alors, il faut s’interroger sur ce qui aujourd’hui fait sens dans la notion de laïcité dans le débat public ; s’interroger aussi pour savoir si cela fait sens pour tous les habitants de ce pays ; savoir si dans le cas contraire, nous n’avons pas, dans un combat plus global, à nous interroger sur ce qu’est devenu la notion de citoyenneté ; ce n’est pas un moindre paradoxe qu’à propos d’une polémique récente déclenchée par l’initiative aberrante de parlementaires hors des gonds sur le colonialisme, le ministre de l’intérieur, comme chef de parti, à moins qu’il ne se souvienne que son département ministériel englobait jadis l’instruction publique, a cru pouvoir s’interroger sur le moment où il serait honteux de se dire français alors même que la politique qu’il préconise ou qu’il accompagne est un déni permanent des fondements historiques de la vie sociale de notre pays !

Des problèmes de l’unité

La laïcité constitue un facteur d’identité pour la nation, pour le modèle républicain si décrié aujourd’hui, pour la gauche ; elle repose sur un certain nombre de principes de portée universelle et vise à permettre concrètement l’émancipation et l’accomplissement de l’homme ; en ce sens elle est humanisme, et c’est pourquoi elle est identitaire pour tous ceux qui veulent faire œuvre éducative.

Le syndicalisme enseignant depuis ses origines a pris une part déterminante dans la définition de la laïcité, dans sa défense, dans les combats, y compris les plus récents qui ont mobilisé véritablement les masses de notre peuple : la plus importante pétition jamais signée en France fut celle de 1961 : 10800000 signatures contre le dualisme scolaire et la reconnaissance à l’enseignement privé d’une mission de service public ! Les plus importantes manifestations du XXème siècle furent celles de 1983-84 et de 1993-94, chaque fois sur la question de la laïcité, du service public d’éducation, de l’engagement de la nation pour l’éducation. Ces batailles n’ont pas toutes été gagnées, pas toutes perdues non plus, mais chaque fois elles ont renvoyé l’opinion publique et malgré, disons le, un refus généralisé des grands media à contribuer positivement au débat de fond, à s’interroger sur nos institutions et notre histoire, non pas dans un lamento mais dans le credo que l’histoire n’est pas finie.

La laïcité et le service public d’éducation qui est à valeur constitutionnelle sont des institutions et des piliers de la République ; s’en prendre à eux c’est saper une identité historiquement fondée et donc d’une certaine manière remettre en cause le principe même de la souveraineté nationale qui procède du peuple citoyen.

Or c’est bien de cela en effet qu’il s’agit : le principe de laïcité reste menacé dans notre pays et c’est sans doute cela qui explique l’incroyable discrétion des pouvoirs publics pour commémorer une loi fondatrice. En l’occurrence, avons-nous été nous-mêmes à la hauteur, alors même que nous avions un mandat donné au Congrès de Perpignan ? Et si non pour quelle raison ? Ne sommes-nous pas conscients des non-dits du politiquement correct à l’intérieur de la FSU ? Des débats que nous ne menons pas ? La France de 2005 n’est pas celle de 1905 ? Encore heureux, mais en quoi ce qui fut un compromis basé sur quelques solides principes nés des Lumières, devrait-il, si l’on doit réfléchir à une mise à jour contemporaine, à condition qu’elle aussi donne lieu à un compromis aussi durable, ne plus reposer sur des concepts universalisables ?

Nous devons collectivement contribuer à armer intellectuellement nos militants : cela passe par l’analyse critique de l’Histoire, de la nôtre et de l’état politique et idéologique de notre pays ; et si cela fait débat, tant mieux !

Les fondements de l’action

Nous sommes confrontés à des offensives anti-laïques à tous les niveaux et dans tous les domaines : c’est le dérapage dans la formation des formateurs dans le cadre de l’enseignement du fait religieux qui se traduit par une intervention des églises dans les contenus d’enseignement, c’est le rétablissement de services religieux catholiques dans certains établissements du second degré, ce sont les tentatives de développement du poids et de la place de l’enseignement privé sous contrat, des velléités de remise en cause à nouveau de la loi Falloux, c’est le maintien et le renforcement du dualisme scolaire par un financement qui va au-delà de l’esprit et de la lettre de cette même loi, c’est le projet de constitution européenne qui dans son préambule et dans son article 51 prévoit un dialogue régulier avec les églises et donc institutionnalise leur rôle dans la définition du fonctionnement économique, social et culturel de l’Union, c’est encore le maintien du statut particulier de l’Alsace-Moselle ou de l’outre-mer, c’est même la loi sur le port de signes religieux à l’école qui exonère les établissements privés sous contrat de l’obligation de la faire appliquer alors que leur financement public n’est justifiable que par leur mission de service public ; mais ce sont aussi les tentatives de transformation de l’Ecole en marchandise, la dictature des marques, la soumission du développement de missions de l’Ecole au bon vouloir d’investisseurs privés pour pallier les insuffisances des financements publics, l’intervention directe des organisations patronales dans les contenus d’enseignement en particulier à travers des équipements ou des outils prétendument pédagogiques( cf. les masters de l’économie du CIC) ou dans les contenus de formation lors des stages en entreprise. ; c’est la loi Fillon qui sous couleur de consolider un socle de base renforce une école du tri social. C’est enfin l’ambiguïté du gouvernement dans les négociations sur l’AGCS quant à notre revendication d’exclusion de l’Education du champ d’application de cet accord.

On ne parle plus en France depuis quelques décennies d’instruction publique mais d’éducation nationale : il ne s’agit pas seulement dans les missions de l’Ecole de transmettre des connaissances, des savoirs construits par la raison humaine dans une démarche scientifique, mais véritablement d’éduquer : l’institution scolaire est une des principales instances de socialisation et c’est cela qui explique en grande partie l’importance des enjeux autour des politiques scolaires et l’âpreté des combats autour de la question de la laïcité. Former l’homme, le travailleur, le citoyen est en effet un enjeu politique majeur.

La laïcité c’est donc le cadre de la transmission des savoirs et des savoir-faire, le cadre de la liberté de pensée et de conscience, le cadre de l’apprentissage de la citoyenneté, le cadre de la démocratisation de l’école et de la société et c’est pourquoi elle est et doit être un combat permanent.

Rappelons Jaurès le 21 janvier 1910 : « ..sur quels principes, depuis la Révolution surtout, reposent les sociétés politiques modernes, sur quels principes repose particulièrement la France, dont ce fut le péril, on l’a dit souvent, mais dont c’est la grandeur d’avoir par son esprit logique et intrépide poussé jusqu’aux conséquences extrêmes l’idée même de la Révolution ? L’idée, le principe de vie qui est dans les sociétés modernes, qui se manifeste dans toutes leurs institutions, c’est l’acte de foi dans l’efficacité morale et sociale de la raison, dans la valeur de la personne humaine raisonnable et éducable ; c’est ce principe qui se confond avec la laïcité elle-même, c’est ce principe qui se manifeste, qui se traduit dans toutes les institutions du monde moderne. C’est le principe qui commande la souveraineté politique elle-même ».

Oui la laïcité est aujourd’hui, encore, la modernité même et le fondement de la démocratie véritable.

On lira utilement le cahier de l’Irhses de novembre 2005

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