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Etat des lieux - Education

dimanche 16 avril 2006

Dans une société marquée par le chômage, la précarité, la pauvreté et la disparition progressive des classes moyennes, l’Ecole ne reste pas indemne : elle subit de plein fouet cette dérive sociale.

Sans doute, l’Ecole de l’égalité des chances n’a-t-elle jamais existé au delà des discours et des quelques histoires individuelles dont l’exemple permet une justification idéologique du système. Inutile de rappeler ici les travaux d’un Bourdieu sur la « reproduction » et les comparaisons sociologiques au XXème siècle, entre la population dans son ensemble et l’origine sociale des étudiants des universités ou des grandes écoles. Pourtant il n’était pas neutre que cette Ecole de l’égalité des chances existât au moins au niveau du discours, comme l’affirmation d’un principe de droit permet de peser pour son obtention effective. Même si l’élément déterminant est le rapport des forces sociales, le niveau du discours et de l’affirmation de principes est aussi un terrain de luttes, parallèlement à celui, plus matériel, du partage des richesses créées. Nous le constatons tous les jours a contrario dans notre pratique professionnelle : la perte de crédit de l’Ecole de l’égalité des chances, auprès de nos élèves et de leur famille est bien plus dommageable, du point de vue de l’efficacité éducative, que l’illusion entretenue naguère. Car si cette Ecole n’était pas celle de l’égalité, elle a pu être celle de la promotion sociale.

Dans une société de croissance et de consommation de masse, mais aussi de développement de grands services publics - de l’énergie et des transports, comme de l’éducation - l’élévation des qualifications a pu permettre une amélioration de la situation sociale et du niveau de vie. Il ne s’agit pas ici de jouer les « laudatores temporis acti » et de pleurer la perte d’un âge d’or : la contrepartie de la constitution de classes moyennes nombreuses permettant l’amélioration du sort du plus grand nombre, issu du monde rural ou de la classe ouvrière, a été le pillage des matières premières, sources d’énergie et main d’œuvre quasi servile en provenance des pays du Sud à qui cet « échange inégal » avait été imposé, au delà de la période coloniale. Un des moteurs de l’ascension sociale a en effet été une immigration massive - immigration provisoire d’hommes seuls, participant à la création de richesses mais sans grande exigence de retour de ces richesses en termes de salaires, éducation, santé, logement - pour occuper les emplois les plus déclassés et les plus mal rémunérés.

L’évolution de notre société a sensiblement modifié son rapport à l’école. Le chômage de masse et la précarité ont exacerbé les attentes des familles et développé des attitudes consuméristes. Dans les mentalités collectives, l’Ecole est de moins en moins une institution républicaine, en charge de la préparation de l’avenir par une éducation globale - non seulement débouchant sur des qualifications reconnues, mais également participant à la construction des hommes et des femmes dans tous les aspects de leur personnes, humains, familiaux, citoyens, etc. - pour n’être plus qu’un service, public pour le moment et certains de ces aspects, responsable de l’insertion sociale identifiée comme insertion professionnelle et, par un glissement bien compréhensible, rendu responsable des échecs dans ce domaine. S’il est toujours vrai que la précarité est d’autant plus grande que les qualifications acquises sont faibles, ce discours très largement dominant tait la dévalorisation des qualifications liée au poids du chômage : le diplôme est bien une clé de l’emploi, mais l’emploi ainsi obtenu correspond rarement au niveau de qualification détenu, y compris dans la fonction publique, où les emplois de catégorie C sont recherchés par des bacheliers ou diplômés du supérieur. Un deuxième ou troisième cycle universitaire permet sans doute encore de raccourcir la recherche d’emploi, à condition d’accepter des situations précaires et mal rémunérées.

L’Ecole se trouve donc au cœur d’attentes, d’aspirations et de représentations contradictoires : de très fortes attentes, en matière d’insertion professionnelle, de la part des familles et en même temps une dévalorisation institutionnelle qui accompagne la dévalorisation des diplômes et donc des études qui y conduisent, comme des personnels qui en sont chargés.

Les gouvernements successifs et les milieux patronaux ont encouragé cette dévalorisation qui permet de rendre l’institution et ses personnels responsables de la situation économique et sociale : combien de fois n’avons-nous pas entendu - y compris autour de la question du CPE - que l’Ecole était responsable du chômage des jeunes ? Cette situation est encore accrue - et donc encore plus paradoxale - dans les quartiers où la ségrégation spatiale a confiné les populations les plus démunies et présente un double visage : une école dont on attend tout, sans en espérer plus rien.

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