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En débat / Syndicalisme

Compte-rendu de l’intervention de Stéphane ROZES (Institut CSA)

mardi 30 mars 2004

Les élections régionales soulignent le hiatus entre l’état d’esprit du pays et sa représentation politique. Cela s’inscrit dans le cycle anti-libéral ouvert depuis 10 ans : les Français ne voient plus la cohérence des mécanismes économiques (licenciements dans des entreprises qui font des profits, perte de cohérence entre l’investissement productif du salarié et son devenir...).

Depuis 10 ans les salariés sont critiques à l’égard des syndicats mais pensent qu’ils doivent incarner des contre-pouvoirs et jouer un plus grand rôle dans l’entreprise, et au-delà. Lors du mouvement social de 2003 les Français sont restés favorables aux syndicats enseignants. D’autant que, sur le fond, les attitudes des salariés du privé et du public se sont rapprochées : le paradigme libéral (un intérêt général construit sur les intérêts individuels) est contredit par l’expérience concrète des salariés du privé.

Les directions syndicales ont intégré trop vite que la réalité politique correspondait à la réalité sociale, alors que les scrutins précédents (notamment 2002) ne s’étaient pas construits sur les questions économiques et sociales. L’intégration de cette perception du pays a conduit à adapter la réflexion revendicative. Cette tendance permet en outre de se conformer à la division traditionnelle du travail entre le syndicalisme et le politique, dont les fondements sont : l’idée d’un Etat détenant le monopole de l’intérêt général, l’intégration de la question sociale dans la matrice républicaine (Jaurès), le reflux de la tradition anarcho-syndicaliste, les liens entre le syndicalisme (ici et maintenant) et le politique (élévation du niveau de conscience) notamment autour du parti communiste. Division du travail entre le politique et le syndical qui s’était stabilisé lors des Trente Glorieuses, avec une CGT qui pouvait se permettre d’être le syndicat signant le plus d’accords.

Cette division traditionnelle du travail est en difficulté. Depuis quelques années, les salariés perçoivent le syndicalisme comme assez inefficace parce que divisé, et divisé parce que (trop) politisé (c’est-à-dire complaisant avec la gauche). Pour autant, les attentes à l’égard des syndicats ne sont pas moins fortes, à un moment où le politique semble lui aussi moins efficace, avec la fin de l’idée que les grandes avancées se font par la loi.

Ces difficultés sont fortement liées au rapport Etat / nation : l’Etat ne stabilise plus les compromis sociaux et semble accompagner la dérégulation imposée par Bruxelles au travers de politiques budgétaires et monétaires qui construisent les remises en cause des acquis.

De ce fait, les enquêtes font ressortir un moral des salariés du public plus mauvais encore que pour ceux du privé. Pour ces derniers, la demande en direction des syndicats est forte, même si elle s’accompagne de doutes et critiques (les syndicats pèsent-ils vraiment ? Qui détient réellement le pouvoir lorsque même le Pdg peut être remercié par les actionnaires ?....). Pour la fonction publique les doutes sont plus profonds encore : l’appareil d’Etat a externalisé hors de l’Etat même la définition de l’intérêt général. Dès lors, où sont les éléments du contrat ? les missions ? On peut établir une césure reprenant la distinction entre le haut clergé et le bas-clergé. La haute fonction publique convertie à la dérégulation ne pose que le « comment » des réformes et confisque le « pourquoi ». Les fonctionnaires qui font tenir au quotidien la République, posent d’abord le « pourquoi » : quelle est la mission ? quel est le contrat (Etat / nation) ? On peut lire le 21 avril (2002) comme le résultat d’un long processus, notamment la conversion de la gauche de gouvernement à la logique dérégulatrice de la haute fonction publique.

La combinaison des deux phénomènes - persistance de la division du travail syndical / politique et gauche politique devenu dérégulatrice - a conduit a un divorce silencieux entre le syndicalisme et la gauche politique. Dès lors, les mouvements sociaux sont vécus comme une gêne (puisque les politiques revendiquent toujours le monopole de l’intérêt général) et le syndicalisme ne sort guère du terrain revendicatif habituel (« plan-plan »). Le désarroi est accentué dans la fonction publique : les remises en cause sont vécues comme des éléments de négation existentielle.

Le syndicalisme est donc face à des attentes fortes. Cela se traduit par de modes d’action fondés sur l’horizontalité, qui s’accompagnent d’une définition du souhaitable hors des contraintes du possible, laissé à des politiques qui ne réfléchissent quant à eux plus au souhaitable. Les salariés désirent un syndicalisme indexé sur les mouvements sociaux, construit sur une plus grande correspondance avec les adhérents. Cela implique aussi de nouveaux modes d’élaboration des mandatements. On voit alors une progression de la CGT dans ce qu’elle nomme les « nouvelles bases » alors qu’elle recule dans ses bastions.

Le mouvement social du printemps 2003 sur les retraites ouvre quelques pistes pour repenser le lien entre syndicalisme et politique. Le front syndical a dit qu’il est possible de faire autrement et a posé cette question dans le cadre d’un débat sur des choix de société. La nécessité de ne pas en rester au « revendicatif » est apparue nettement. L’ancienne division de travail a commencé à bouger. Le syndicalisme a la légitimité pour poser les questions du moyen et du long termes (par exemple sur l’Europe). C’est à dire qu’il lui appartient de construire politiquement une demande sociale, en passant du revendicatif immédiat à la construction de sens et de cohérence, en synthétisant la connaissance du terrain pour construire une interpellation du politique. L’avenir appartient à ceux qui posent le souhaitable puis font peser le possible.

QUESTIONS

La question du travail comme élément de rupture entre le haut clergé et le bas clergé ?

La gauche est en retrait très net sur la question du travail : elle a laissé la place au catholicisme social teinté de misérabilisme. Jusqu’aux années 90, les socialistes ont sanctuarisé le secteur public et dérégulé le privé. La justice n’est plus que l’affaire de la redistribution, la question du travail est ignorée. La méconnaissance du monde ouvrier est apparue pleinement avec les 35 h, dont la mise en œuvre a ignoré l’approche du travail : la conquête de la séparation entre vie sociale et vie privée. De même l’idée des « sans droits » est une représentation plaquée qui ignore que les mobilisations se construisent sur la fierté et l’identité.

Le marketing politique et les sondages ne jouent-ils pas le rôle essentiel ?

On peut distinguer trois niveaux de l’action politique : les décisions stratégiques, les choix tactiques et les opérations de communication. Contrairement à ce que l’on pense souvent, les politiques n’utilisent pas les sondages pour prendre des décisions stratégiques (réforme...), ils n’y recourent que pour la tactique (calendrier) et la communication (arguments).

Le travaillisme comme modèle pour un syndicalisme européen ?

Effectivement, on a dans le cadre du travaillisme une autre relation entre syndicalisme et politique, avec des ambitions à penser ensemble l’intérêt général. En même temps cela conduit Schröder a demander clairement aux syndicats de choisir entre leur base sociale et la cogestion. La CFDT est aussi dans ce type de choix. Par ailleurs les enjeux européens sont brouillés parce que réduits à une approche procédurale qui permet d’esquiver les choix. Là aussi, il faut partir d’une idée claire de ce que pensent les Français de l’Europe : il y sont favorables dans une vision projective (une grande France), qui a peu changé depuis de Gaulle. Le syndicalisme peut en tous cas se donner les moyens d’interpeller les politiques, à commencer par les gouvernements des Etats, qui prennent les décisions mais utilisent l’Europe pour éviter le débat avec les opinions.

Qu’en est-il des liens entre le « syndicalisme patronal » et la droite politique ?

Il faut d’abord voir la différence entre ce qu’a été le CNPF - une représentation crédible du patronat - et ce qu’est le MEDEF : un lobby qui ne représente qu’une partie du patronat et a une mauvaise image auprès des chef de PME-PMI. Ce lobby idéologique accélère et accompagne le retrait de l’Etat sans prendre la peine de définir le souhaitable et le possible : il a le souci de théoriser un « cours de choses » et utilise la proximité culturelle avec une partie du personnel politique. La fondation Saint-Simon était une bonne illustration de cette « rencontre entre des gens qui ont des idées et des gens qui ont des moyens ». Le fond politique utilisé est la présentation du marché comme rempart au totalitarisme, au moment où ce marché devient lui-même totalitaire. Le but est de permettre au libéralisme de continuer à avancer dans les faits alors qu’il a perdu dans les têtes (les opinions).

Quels liens entre syndicalisme et mouvement social ?

L’avancée d’un libéralisme rejeté par le peuple laisse beaucoup de place pour le populisme et le communautarisme, avec lesquels le mouvement social - dont le monde syndical - a engagé une course de vitesse. On voit apparaître une forme de néo-anarcho-syndicalisme (syndicats basistes ou vote d’ext.gauche), qui ne se heurte plus à un Etat qui refuse mais court derrière un Etat qui se retire. Les mouvements sociaux comme ATTAC favorisent certaines mobilisation - par exemple celle des enseignants - mais ne correspondent pas au rapport au monde des ouvriers et employés, qui se construit sur l’expérience personnelle. Le syndicalisme a un rôle majeur à jouer : synthétiser la connaissance du terrain, les expériences, pour ensuite introduire la globalisation ou le mondial comme des éléments de rationalisation de ces expériences.

CR Jean-Marie Queinnec, Aix-Marseille.

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