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La privatisation de l’enseignement des langues vivantes

samedi 17 mars 2007

La privatisation de l’enseignement des langues vivantes

Etat des lieux :

Nous assistons à une destruction sans précédent de l’enseignement des langues vivantes dans les lycées et collèges de l’éducation nationale. Cette destruction qui était déjà en germe dans la réforme de 2001, s’accélère aujourd’hui en poussant sa logique jusqu’au bout. Elle s’articule sur trois axes :

- Le premier a organisé les conditions d’un mauvais fonctionnement par le biais des réductions horaires. A titre d’exemple, cette perte, sur la base de 33 semaines de cours et pour l’apprentissage de la lv1 + lv2 confondues, représente pour un élève de seconde - 43 heures d’enseignement depuis 2000.

- Le deuxième vise à affaiblir les professeurs de langue dans leur enseignement : coefficients inintéressants au bac qui génèrent une attitude consumériste, contradiction dans les directives données aux professeurs de langue qui doivent privilégier l’oral alors que les élèves passent une épreuve à l’écrit...

- Le troisième met en œuvre deux phénomènes en apparence contradictoires, l’extinction de l’enseignement de certaines langues à faibles effectifs et des effectifs surchargés en anglais et en espagnol conjugués aux regroupements ingérables.

Motifs et nature de la mise en place des groupes de compétence en langue vivante :

Il apparaît que la réforme dite des nouveaux modes d’organisation de l’enseignement des langues vivantes a pour objectif une économie d’heures, par ailleurs clairement affiché dans la loi Fillon (P.43 « l’horaire hebdomadaire comme l’horaire annuel des lycéens français sont les plus lourds de tous les pays de l’OCDE). De plus, la nécessité de ces nouveaux modes d’enseignement à été médiatisée par la publication d’une note de la DPE publiée en 2004, qui constate que « les compétences en anglais des élèves de 15 ans sont en régression par rapport à l’enquête précédente conduite en 1996 ». On peut s’interroger sur la validité de cette enquête, en effet, peut-on comparer les résultats si les conditions d’enseignement sont différentes ? Peut-on comparer la pratique des langues d’un jeune Catalan, ou d’un jeune Basque pour qui l’espagnol est une deuxième langue et l’anglais une troisième langue ? Peut-on comparer les compétences, sachant que, des élèves des six pays évalués en 2002, c’est le jeune Français qui a reçu le moins de cours durant ses années de collège ? Il n’a suivi que 432 heures contre 450 pour l’élève espagnol et entre 480 et 680 en Finlande, Norvège, Pays Bas, Allemagne, Suède.

Les groupes de compétence sont doublement utilitaristes. Il s’agit en effet de mettre en place, sous prétexte d’efficacité, l’outil qui permettra le fonctionnement d’un enseignement des langues a minima, en utilisant 2 leviers : le Cadre Européen de Référence pour l’Enseignement des Langues et les groupes de compétence.

Les groupes de niveau sont à ce titre remarquables. En effet, la LV1 et la LV2 seraient alignées sur l’horaire de 3 heures hebdomadaires, ce qui induit la perte d’une demi-heure hebdomadaire pour les élèves, puisque actuellement l’horaire en seconde est de 4 H pour la LV1 et 2h30 pour la LV2. En outre, ce mode de fonctionnement fait disparaître la référence à la classe et les réductions horaires justifient les suppressions de postes. Par ailleurs, dans cette configuration, il n’y aurait plus de groupes à moins de 20 élèves, de modules, de classes dédoublées. Ainsi, avec 4 classes on fera 3 groupes !

Mais il y a également dans cette réforme des langues un utilitarisme idéologique qui consiste à mettre en place une dérive utilitariste et communicationnelle. En effet elle s’inscrit dans le cadre européen commun de référence, élaboré en décembre 1996 qui « place l’apprentissage des langues dans une perspective actionnelle : on n’apprend plus pour travailler sur un document en langue étrangère, ni pour savoir saluer et remercier ses voisins, mais bien pour travailler directement avec eux, être capable de construire des projets et des produits en commun, dans le cadre du marché mondial » (M. Baumard Le Monde de l’éducation n°333). Par conséquent l’objectif à peine caché est donc l’employabilité au marché du travail. A ce titre, le cadre européen commun de référence princeps, de 96, est éloquent : dans ses 24 cases croisant les niveaux et les exigences attendues, on peut lire ...24 fois les occurrences du mot professionnel et 0 fois le mot culture ! De façon générale le glissement de la notion de connaissance vers la notion de compétence conduit inévitablement à un appauvrissement. Il ne s’agit en effet que d’acquérir une langue dont le seul objectif de la pratique est le « faire » dans le cadre du marché mondial. On considère les langues comme un simple instrument commercial, alors qu’elles sont histoire et culture et que leur apprentissage doit contribuer à la formation de l’esprit.

Par ailleurs, l’application du mode de fonctionnement par groupes de compétences dérivera inévitablement vers un fonctionnement en groupes de niveau. Comme le souligne Roger Establet, professeur de sociologie à l’ENS et à l’université d’Aix (Dossier « le niveau monte ? » supplément à l’US n°647), « les pays qui utilisent cette façon de faire obtiennent des dispersions fortes et des résultats moyens « plombés » par ceux des plus faibles. Les classes de niveau relèvent d’une mauvaise politique ».

La privatisation par la certification :

A court terme, l’objectif est de faire disparaître les LV des épreuves du bac (voir sites officiels) Ainsi 3 objectifs ministériels seraient atteints :

- Une économie budgétaire importante

- Une accélération du processus de Contrôle Continu en cours de Formation visant la disparition du bac (voir les sciences expérimentales et les nouvelles épreuves de langue en STG)

- La privatisation pure et simple de l’enseignement des langues par la mise en place de diplômes parallèles : les certifications.

En effet, la lettre Flash du 30 juin 2006 se réjouissait du fait que 8400 élèves aient passé la première certification en allemand. Depuis cette date, le ministère a accéléré la mise en œuvre en passant un appel d’offres (J.O du 9 août 2006 annonce 246).Celui ci à pour but de trouver en anglais et en espagnol des entreprises pour assurer la certification avec prestation de formation associée. Ainsi on livre le marché des certifications et leur élaboration à des instituts privés à vocation commerciale !

Il faut bien comprendre que cette mise en place des certifications, par le biais du cadre européen de compétences et des groupes de compétences, ne peut pas être considérée comme une réforme de plus. Il s’agit très clairement d’une étape majeure de la privatisation du service public d’enseignement. Aujourd’hui, des langues vivantes, et demain ?

N’en doutons pas, les expérimentations menées en L.V, la déqualification de nos métiers qui vise à nous transformer en prestataires de certifications, la désincarnation de notre métier, s’inscrivent dans un processus qui vise l’enseignement public dans son ensemble. Pied à pied, défendons nos métiers, refusons le fonctionnement en groupes de compétence, cadre que l’on prétend nous imposer. C’est un piège tendu pour livrer notre enseignement à la marchandisation.

Elise Martos, U&A, S2 Pyrénées Atlantiques.

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